Poésies lyriquesAuguste Decq (p. 223-225).


MYSTÈRE


1832.


 
Il se passe entre le ciel et la terre,
Beaucoup de choses que nous ne comprenons pas.




Reconduit par l’Été sur son charge victoire,
Le soleil inondait des torrents de sa gloire
Et la terre et les cieux,
Et moi, le cœur ouvert aux pensers les plus vastes,
Aux rêves les plus doux des âmes les plus chastes,
Je marchais radieux ;


Humant, par tous les sens, la volupté de vivre,
Heureux de respirer, et d’entendre, et de suivre
L’air pur, le vent, l’eau dans les bois,
Et perdu tout entier dans l’extase sublime
D’un pèlerin pieux près d’atteindre la cime
Du mont consacré par la croix.

Tout à coup je sentis mon cœur devenir sombre,
Et je vis, devant moi, s’asseoir un spectre, une ombre,
Qui murmurait un vague adieu ;
Et j’entendis, du pied d’une roche isolée,
Debout, près d’un étang, au fond de la vallée,
Partir un brusque coup de feu.

Pâle, effaré, j’accours, je cherche, je regarde,
Et trouve, sous l’ombrage où mon œil se hasarde,
Un homme au front livide et noir,
Il était mort, oui mort, en maudissant la vie,
Mort dans la convulsive et sanglante agonie
Du malheur et du désespoir.

Et le soleil toujours rayonnait sur le monde,
Et versait les trésors de sa clarté féconde
Sur les monts et les champs ;
Et les fleurs, les oiseaux, les bois et les rivières
Mêlaient, avec amour, aux rires des chaumières,
Leurs parfums et leurs chants ;


Et moi, je m’éloignai, la poitrine oppressée,
Triste, silencieux, roulant dans ma pensée
Peut-être un rêve défendu ;
Et je crus entrevoir, pendant ma course errante,
Dans l’apparition de cette ombre mourante,
Tout un monde encore inconnu.