Poésies lyriques/Hymne au siècle

Poésies lyriquesAuguste Decq (p. 291-296).
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HYMNE AU SIÈCLE.


1847.




Au lieu de blasphémer, apprenons à bénir !


 
Gloire au Dieu juste et fort qui nous donna la vie !
Trêve à ces chants de deuil, à ces cris d’agonie
Dont trop souvent ma Muse attrista son berceau !
L’homme est toujours puissant, la femme est toujours belle,
L’enfant sourit encore au vieillard qui l’appelle,
Le raisin à la coupe et la fleur à l’oiseau.


Frères ! ce beau soleil, astre que tout adore,
Brille aussi radieux qu’à sa première aurore ;
Rien, à l’œil du savant, n’annonce son déclin.
La féconde Nature, auguste et tendre mère,
De son lait généreux nourrit toujours la Terre ;
Nul flot de volupté n’a tari dans son sein.

Partout la vie éclate en œuvres immortelles,
Tonne, au sein des Forums, en doctrines nouvelles,
Ou vole, en traits de feu, sur un vélin glacé,
Fuit, en fleuves de fer, sous des nefs sans voilure,
Ou déploie, en champs d’or, sa splendide ceinture
Autour du globe ardent, son divin fiancé.

Tout change, tout grandit, tout marche, tout s’élève.
De l’œuf que la Pensée a couvé dans un rêve
Sort un monde réel au jour qu’elle a fixé.
Nos travaux font pâlir les travaux de nos pères ;
Nos fils les béniront, et, dans leurs jours prospères,
Diront en s’inclinant : Gloire au siècle passé !

Que de peuples lointains, dont l’esprit se dévoile,
Partent de leurs foyers aux rayons de l’étoile
Qui guida vers le Christ les Mages d’Orient,
Franchissent les déserts et bravent les tempêtes,
Pour venir, tour à tour, saluer nos conquêtes,
Et nous offrir les dons d’un climat plus riant !


Frères ! tendons à tous la main droite des braves !
S’ils sont partis mourants, s’ils sont partis esclaves,
Qu’ils s’en retournent forts, libres et consolés !
Qu’ils aillent arborer sur les murs de leurs villes
L’étendard illustré dans nos luttes viriles
Par tous les grands progrès des siècles écoulés !

Reines des nations, la Paix et l’Industrie
Ont détrôné la Guerre, et vaincront l’Anarchie ;
Un seul, prêtre ou soldat, ne règne plus sur tous.
La grande Liberté, mère de notre histoire,
A reconquis l’empire usurpé par la gloire ;
Au seul bruit de ses pas tout fléchit les genoux.

Des droits et des devoirs tressés en diadème
Par les élus du peuple, au nom du peuple même,
Se compose aujourd’hui la couronne des rois :
Rude bandeau de fer sans luxe et sans prestige,
Mais dont le froid contact préserve du vertige
Le front, puissant ou faible, accablé de son poids.

Frères ! un noble siècle est entré dans l’arène.
Sous chacun de ses coups se resserre la chaîne
Qui nous rattache au Dieu dont nous descendons tous.
Qu’importe si parfois un vieil anneau se brise !
L’esprit réunira ce que le bras divise ;
Nous avons la Raison et le Temps avec nous.


Jamais le Tout-Puissant n’éleva sur nos plages
Des phares plus nombreux pour éclairer les âges ;
Guidé par leurs fanaux, l’homme s’éloigne en paix ;
Il parcourt, triomphant, le globe qu’il explore,
Et, grand à son départ, revient plus grand encore,
Pour bénir le Seigneur et chanter ses bienfaits.