Poésies inédites (Marceline Desbordes-Valmore)/Retour dans une église

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RETOUR DANS UNE ÉGLISE.


Église ! église où de mon âme,
Moitié de pleurs, moitié de flamme,
Et prompt comme l’eau de la mer,
Coula le flot le plus amer ;

Église où ma jeunesse blonde,
Craintive ensemble et vagabonde,
Attirée aux chants du saint lieu,
N’accourait pas toute vers Dieu !

Église, où chaque dalle usée,
D’un tendre poids scandalisée,
Dénonça deux ans, jour par jour,
Des pas que rejoignait l’amour !

Église où mon heure allait vite
Pour rencontrer à l’eau bénite
Une autre âme que j’y voyais,
Une main qu’ailleurs je fuyais !


Église vainement austère
Où le doux encens de la terre,
Ruisselant sur mes longs cheveux
Égarait le cours de mes vœux ;

Église où mon humble famille,
Moins morte aux soupirs de sa fille,
Planait sur mon sort combattu
Et criait dans l’air : « Que veux-tu ? »

Le savais-je, ô Dieu de mon père !
Où va-t-on vers ce qu’on espère ?
Où fuit-on l’ombre de ses pas ?…
Dieu ! savais-je où l’on n’aime pas !

Dieu des larmes, le sais-je encore ?
Je n’ai su qu’un mal qui dévore,
Un mal dont on n’ose souffrir,
Ni vivre, ô mon Dieu, ni mourir.

Église, église, ouvrez vos portes,
Et vos chaînes douces et fortes
Aux élancements de mon cœur
Qui frappe à la grille du chœur.


Ouvrez ! Je ne suis plus suivie
Que par moi-même et par la vie
Qui fait chanceler sous son poids
Mon âme et mon corps à la fois.

Ouvrez ! je suis triste et blessée,
Seule sous mon aile abaissée ;
Il n’est plus de pas sur mes pas,
Ni d’âme qui me parle bas.

Ouvrez ! à mon sort sans patrie,
Flottant comme une algue flétrie ;
Des deux voix tendres d’autrefois,
Vous n’entendrez plus qu’une voix !


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