Poésies inédites (Marceline Desbordes-Valmore)/Les Deux Marinières (« Vois-tu, si j’avais ta beauté »)

Pour les autres éditions de ce texte, voir Les deux marinières (« Vois-tu ! si j’avais ta beauté, »).

Poésies inédites, Texte établi par Gustave RevilliodJules Fick (p. 237-240).


LES DEUX MARINIÈRES.


Marina.

Vois-tu, si j’avais ta beauté,
Cousine, et sa fleur jeune et tendre,
Je me garderais bien d’attendre,
Seule dans ma fidélité.
Pour un marin qui trace l’onde
Au lieu de m’ennuyer au monde,
Ma foi !
J’aurais plus de plaisirs que toi !

Laly Galine.

Tu crois donc que j’ai de l’ennui,
Cousine, en ma chambre fermée ?
J’y travaille toute charmée :
Est-on seule en pensant à lui !
Tourner le dos à son image,
Mon Dieu, ce serait bien dommage !
Crois-moi !
Je suis bien moins seule que toi.

Marina.

Ton amant n’est qu’un matelot
Qui n’a rien à lui que son âme,
Fidèle au serment d’une femme
Autant que le vent l’est au flot !
Laly ! je te le jure encore :
Si l’on m’aimait comme on t’adore,
Ma foi !
J’aurais plus de joyaux que toi !

Laly Galine.

Je prépare en filant mon lin
La toile de notre ménage,
Et je n’ai pour tout voisinage
Que mon Christ en papier vélin.
Puis pour parer ma cheminée
Sa barque qu’il a dessinée
Crois-moi !
Je suis bien plus riche que toi.

Marina.

Ton lin ne dure pas toujours,
On se fait voir aux jours de fête,

On met des rubans sur sa tête,
Et l’on danse à d’autres amours !
Prends les rubans que l’on t’apporte…
Ah ! s’il en pleuvait à ma porte,
Ma foi !
J’aurais d’autres atours que toi !

Laly Galine.

Cousine, on ne fait pas son sort ;
Le mien est d’être une humble femme.
Les joyaux n’échauffent point l’âme,
Un cheveu qu’on aime est plus fort !
Sa chanson… tu sais bien laquelle !
Je chante et je pleure avec elle.
Crois-moi :
Je chante plus souvent que toi.

Marina.

Eh bien, tu pleures trop souvent.
On te trouve déjà pâlie ;
Moi, de peur d’être moins jolie,
Je jetterais la plume au vent.
Sous tes pieds tu mets ta fortune ;

Si mes beaux yeux m’en donnaient une,
Ma foi !
Je serais plus fine que toi !

Laly Galine.

Ma fortune ? Il l’apportera.
Lorsque l’heure est toute sonnée,
Je suis moins lourde d’une année,
Car l’heure a dit : « Il reviendra ! »
Va ! quelque pauvre qu’il revienne
Et tende sa main vers la mienne,
Crois-moi !
Nous serons plus heureux que toi !


Rochefort.


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