Poésies inédites (Marceline Desbordes-Valmore)/Les Deux Marinières (« Entends-tu le canon du fort »)

Pour les autres éditions de ce texte, voir Les deux marinières (« Entends-tu le canon du fort, »).

Poésies inédites, Texte établi par Gustave RevilliodJules Fick (p. 244-246).


LES DEUX MARINIÈRES.


Marina.

Entends-tu le canon du fort
Pour le vaisseau qui rentre au port ?
Mais, cousine, le capitaine
Tient l’équipage en quarantaine !
Viens voir de loin le bâtiment
Qui te ramène ton amant.

Laly Galine.

Laisse-moi reprendre mon cœur
Qui s’en va de joie et de peur.
J’avais rêvé cette nouvelle,
Mais vois ! je suis moins forte qu’elle…
C’est ma neuvaine au roi des cieux
Qui met de tels pleurs dans mes yeux.

Marina.

Tu me fais rire avec tes pleurs :
Prends plutôt dentelles et fleurs !

Prends et puisque Dieu te l’envoie,
Folle ! ne pleure pas de joie,
Car je sais que les amoureux
N’aiment pas qu’on pleure pour eux.

Laly Galine.

Que veux-tu ? Je suis faite ainsi,
Et parfois l’homme pleure aussi.
Il n’est pas plus fier que moi-même,
Cousine, et c’est pourquoi je l’aime.
Une larme sauve : autrement
On mourrait de saisissement.

Marina.

Allons ! viens ! tu n’en finis pas !
Viens ! Tout le monde court là-bas
Au salut du canon qui roule.
Ton marin te croit dans la foule ;
C’est la lenteur qui fait mourir,
Moi, mes pieds brûlent de courir.

Laly Galine.

Marina, laisse-moi m’asseoir…
Je serai plus forte ce soir.
Il est là, j’ai le temps d’attendre ;

S’il parlait on pourrait l’entendre !
Comme l’oiseau qui suit le vent,
Mon âme est allée en avant !

Marina.

Mon âme est partout où je cours,
Et je m’endors aux longs discours.
Ta vie est comme une prière
Qui craint le bruit et la lumière.
Pour moi, sans bruit et sans soleil,
Le temps serait un long sommeil.

Laly Galine.

Le soir sera beau, Marina,
Dans la barque qu’il dessina.
La nuit n’y sera plus amère…
Mais je veux embrasser ma mère !
Va chercher du bruit pour ton cœur :
Dieu fait à chacun son bonheur !


Rochefort.


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