Poésies inédites (Marceline Desbordes-Valmore)/Le Petit Mécontent

Pour les autres éditions de ce texte, voir Le petit mécontent.

Poésies inédites, Texte établi par Gustave RevilliodJules Fick (p. 161-164).


LE PETIT MÉCONTENT.


Mère, je veux crier et faire un grand tapage.
Comment, je ne peux pas tous les jours être sage !
Non, mère, c’est trop long tous les jours, tous les jours !
Le monsieur l’a bien dit : « Rien ne dure toujours. »
Tant mieux ! je vais m’enfuir et crier comme George.
Qui m’en empêchera ?
Qui m’en empêchera ? — Personne. À pleine gorge,
Vous pouvez, cher ami, vous donner ce régal.
Mais vous serez malade…
Mais vous serez malade… — Oh ! cela m’est égal :
George ne meurt jamais.
George ne meurt jamais. — George afflige sa mère.
Un enfant mal appris est une joie amère.
— Je reviendrai t’aimer.
— Je reviendrai t’aimer. — M’aimer sans m’obéir ?
Déserter ton devoir, enfant, c’est me trahir.
Je crains, moi, qu’avant peu personne ne vous aime,
Et vous vous ferez peur tout seul avec vous-même.
— Non ! George n’a pas peur dans le cabinet noir.

Il dit que c’est tout brun comme quand c’est le soir ;
Pas plus. Et puis il chante à travers la serrure ;
Il se moque des grands, il fait le coq, il jure.
C’est brave de chanter sans jour et sans flambeau !
Je veux être méchant pour voir.
Je veux être méchant pour voir. — Ce sera beau !
— Je veux être grondé : gronde donc.
— Je veux être grondé : gronde donc. — Pourquoi faire ?
Vous me faites pitié.
Vous me faites pitié. — Je suis las de me taire !
J’ai cassé mon cheval ; j’ai mis de l’encre à tout ;
Regarde ma figure !
Regarde ma figure ! — Oui, c’est laid jusqu’au bout.
Mais qui vous a donné ce faux air de courage ?
Hier encor, priant Dieu qu’il vous rendît bien sage,
Vous vouliez ressembler à notre vieux cousin.
— Je n’avais pas été chez le petit voisin.
Il bat des pieds très-bien quand on le contrarie ;
Il ne dit pas bonjour, même quand on l’en prie !…
Ah ! ah ! c’est qu’on est fier d’être mis en prison !
— Beaucoup de grands enfants y perdent la raison.
Pour leurs mères surtout c’est une triste gloire !
Restez libre et soumis, si vous voulez m’en croire.
Moi, je n’ai point de cage où mettre mon enfant ;
Pas même les oiseaux, mon cœur me le défend.

Vous n’obtiendrez de moi ni prison, ni colère,
Et j’attendrai, de loin, que le temps vous éclaire.
Et j’attendrai, de loin, que le temps vous éclaire. — De loin ?
— Battez des pieds, poussez des cris affreux,
Devenez comme George un petit malheureux,
Vous en aurez la honte au grand jour.
Vous en aurez la honte au grand jour. — Quelle honte ?
George rit ; je rirai…
George rit ; je rirai… — Nous voici loin de compte.
Si vous ne craignez pas de rougir devant Dieu,
Il faudra, mon enfant, bientôt nous dire adieu.
À vivre sans honneur, moi, je ne puis prétendre,
Et si vous n’étiez pas ma gloire la plus tendre,
À la mère de George il faudrait ressembler.
— Oh ! non, ressemble-toi !
— Oh ! non, ressemble-toi ! — Son sort me fait trembler.
Loin de la saluer, quand cette femme passe,
On se détourne d’elle, on lui fait de l’espace,
On va de porte en porte en chuchotant tout bas :
« Elle a gâté son fruit, ne la saluons pas ! »
Le fruit accuse l’arbre, et l’on juge, et le blâme
Tombera sur la mère et non sur la jeune âme
Qu’elle a laissé corrompre. On est plein de rigueur.
— Que dit-on de la dame ?
— Que dit-on de la dame ? — On dit qu’elle est sans cœur.

Voyez comme elle est triste au fond de sa faiblesse !
Le monde la méprise et son enfant la blesse !
Ô mère humiliée en votre unique amour,
Je vous plaignis souvent : me plaindrez-vous un jour ?
— Pardon !… je ne veux pas te voir humiliée…
Pardon ! pardon ! Je veux que tu sois saluée !
Mère, je serai bon comme le vieux cousin !
Mère, je n’irai plus chez le petit voisin ! »

La mère tressaillit dans une vive étreinte ;
L’enfant ne cria plus ; il fut bon sans contrainte.
Et quand on saluait cette mère en chemin,
Il rougissait de joie et lui serrait la main !


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