Poésies inédites (Marceline Desbordes-Valmore)/La Grande Petite Fille

Pour les autres éditions de ce texte, voir La grande petite fille.


LA GRANDE PETITE FILLE.


Maman ! comme on grandit vite !
Je suis grande, j’ai cinq ans !
Eh bien, quand j’étais petite,
J’enviais toujours les grands.

Toujours, toujours à mon frère,
S’il venait me secourir,
Même, quand j’étais par terre,
Je disais : « Je veux courir ! »

Ah ! c’était si souhaitable
De gravir les escaliers !
À présent, je dîne à table ;
Je danse avec mes souliers !

Et ma cousine Mignonne
À qui j’apprends à parler
Du haut des bras de sa bonne
Boude, en me voyant aller.


Pauvre enfant ! Qu’elle est gentille
Quand elle pleure après moi !
J’en fais ma petite fille ;
Je la baise comme toi,

Lorsque, me voyant méchante,
Tu chantais pour me calmer.
Je la calme aussi ; je chante
Pour la forcer de m’aimer.

Et puis, maman, je suis forte,
Bon papa te le dira.
Son grand fauteuil, à la porte,
Sais-tu qui le roulera ?

Moi ! c’est sur moi qu’il s’appuie
Quand son pied le fait souffrir ;
C’est moi qui le désennuie
Quand il dit : « Viens me guérir ! »

Ô maman, je te regarde
Pour apprendre mon devoir,
Et c’est doux d’y prendre garde
Puisque je n’ai qu’à te voir.


Quand j’aurai de la mémoire,
C’est moi qui tiendrai la clé,
Veux-tu, de la grande armoire
Où le linge est empilé ?

Nous la polirons nous-mêmes
De cire à la bonne odeur ;
Ô maman, puisque tu m’aimes
Je suis sage avec ardeur !

Nous ferons l’aumône ensemble
Quand tes chers pauvres viendront.
Un jour, si je te ressemble.
Maman ! comme ils m’aimeront !

Je sais ce que tu vas dire ;
Tous tes mots, je m’en souviens.
Là, j’entends que ton sourire
Dit : « Viens m’embrasser ! » Je viens !


Séparateur