Poésies inédites (Marceline Desbordes-Valmore)/Deux mères

Pour les autres éditions de ce texte, voir Deux mères.

Poésies inédites, Texte établi par Gustave RevilliodJules Fick (p. 111-114).


DEUX MÈRES.


À Caroline Branchu.


Une femme pleurait des pleurs d’une autre femme ;
Elles ont leurs secrets qu’elles plaignent toujours.
Celle qui regardait reconnaissait son âme :
Aux plus tendres, dit-on, les plus tristes amours !
L’enfant s’était enfui du toit de la plus pâle ;
Le père avait crié : « Qu’il ne revienne pas ! ».
Et la mère, essayant ce ton sévère et mâle,
S’efforçait de crier : « Qu’il ne revienne… » hélas !

L’autre saisit ses mains, commandant le silence,
Comme on fait au malade aigri qui veut mourir ;
Puis, soulageant ce cœur frappé d’un coup de lance,
Lui dit ces mots sans art pour l’aider à guérir :

Lorsque Dieu descend sur la terre,
Il se cache au cœur d’une mère.

En regardant rouler nos flots.
Penché sur ce monde qu’il aime,

Jésus, triste au fond du ciel même,
Retrouve ses divins sanglots.

Alors, s’il revient sur la terre,
Il se cache au cœur d’une mère.

Lorsque par un volage enfant
Une tendre femme offensée
N’ose dire qui l’a blessée,
C’est que Jésus le lui défend :

Car il est toujours sur la terre
Caché dans le cœur d’une mère.

L’enfant par le monde égaré
Revient-il, tout las de ses charmes,
Un cœur plein d’amour et de larmes
Se rouvre au transfuge adoré.

Car Jésus l’attend sur la terre,
Caché dans le cœur d’une mère.

Durant ce doux conseil que buvait sa douleur,
L’écouteuse essuyait deux larmes incessantes ;
Elle voyait l’espoir passer dans son malheur ;
Elle voyait la mer aux vagues blanchissantes ;

Elle voyait l’enfant emporté sur les flots,
Et la foi dans son sein refoulait ses sanglots.
Au bord de son oreille elle entendait : « Courage ! »
Alors elle ceignit son manteau de voyage,
Et ses longs yeux de mère interrogeant les cieux,
Demandèrent sa route aux vents silencieux.

Il se fit un grand calme au fond de sa blessure ;
On eût dit qu’on l’aidait tant sa marche était sûre ;
Et, se laissant glisser sous la pluie et le vent,
Elle jeta son âme au Dieu de son enfant :

— « Quand les autres m’ont accablée,
Seigneur, vous m’avez consolée !
Je marcherai donc devant moi,
Pleine d’amour, pleine de foi ;
L’orage est en vain sur ma tête,
Vous me parlez dans la tempête ;
Elle menace et Dieu défend :
Dieu ! guidez-moi vers mon enfant.

« Vous êtes le soutien des mères,
Le vengeur des larmes amères ;
On m’a dérobé mon trésor,
Mais vous me le gardez encor.

Dieu ! vous en êtes le seul maître,
Et vous le ferez bien connaître :
Par votre foi qui me défend,
Dieu ! guidez-moi vers mon enfant ! »

Et plus tard l’autre mère à sa fenêtre assise
Tressaillit tout à coup d’une sainte surprise :
Elle voyait venir en lui tendant la main
Une humble voyageuse empressée au chemin.

Sous une tiède lune aux errants favorable,
Lui montrant de ses pleurs le salaire adorable ;
Car un manteau de bure entr’ouvert par le vent
Abritait embrassés la mère avec l’enfant !


De Boulogne, au bord de la mer.


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