Poésies diverses (Scudery)/Au lecteur

Poésies diversesChez Augustin Courbe (p. 10-12).


AV LECTEVR


C Omme vne partie de ce Volume eſt de Vers d’amour, ie me crois obligé de vous aduertir que vous le liſiez ſi vous en voulez voir de moy de cette eſpece : car à mon aduis ce ſera le dernier que l’on en verra, i’ay appris du Grand Malherbe, qu’il n’y a point d’apparence d’entretenir le monde

                           Des ridiculles auantures,
                           D’vn Amoureux à cheueux gris.

Ce n’eſt pas que i’aye encore beſoin de beaucoup de poudre pour cacher la blancheur des miens, ni que ma vieilleſſe ſoit décrépite : mais enfin i’ay quarante huit ans, & ma première Maiſtreſſe n’eſt plus belle. Ces deux choſes me diſent tacitement, que la galanterie ne doit plus eſtre à mon vſage : & que ſi ie n’ay pas la force de reſiſter abſolument à cette paſſion, ie dois du moins doreſnauant cacher ma foibleſſe. Ainſi Lecteur, voicy les dernières flames, ie n’oſe encore dire dont ie brufleray, mais dont vous me verrez bruſler. Ie ſouhaite qu’elles ſoient comme celles d’vn flambeau qui s’eſteint, qui ordinairement font les plus claires : & que vous trouuiez dans ces Vers que ie vous preſente, autant de feu qu’il y en auoit dans mon ame quand ie les ay compoſez. Que ſi vous remarquez au premier Sonnet de ce Volume, & en quelques autres, que le huictieſme Vers eſtant maſculin, le neufieſme l’eſt encore : ſouuenez vous qu’il y en a dans tous les Poètes qui ont eu de la réputation qui ſont faits ainſi : & que depuis Ronſard iuſques à moy, ie vous en puis fournir des exemples. Ie vous dis la meſme choſe de quelques autres Sonnets, où la rime des quatre premiers Vers eſt d’vne couleur, & celle des quatre qui les ſuiuent d’vne autre : car Ronſard, Du Bellay, Des Portes, Du Perron, Bertaut, Malherbe, Théophile, & Mainard, ont manqué les premiers ſi i’ay manqué, & ie ne l’ay fait qu’apres le leur auoir veù faire. Voila, Lecteur, tout ce que i’ay à vous dire en proſe de mes Vers : ne voulant preuenir voſtre iugement, ni par vne louange orgueilleuſe, ni par vne humilité affectée.