Poésies de Th. Gautier qui ne figureront pas dans ses œuvres/Bonapartisme/À l’impératrice


À L’IMPÉRATRICE


I


Suave et pur jasmin d’Espagne
Où se posa l’abeille d’or,
Une grâce vous accompagne
Et vous possédez un trésor ;

Vous, le sourire de la force,
Le charme de la majesté,
Vous avez la puissante amorce
Qui prend les âmes — la bonté !

Et derrière l’impératrice
À la couronne de rayons,
Apparaît la consolatrice
De toutes les afflictions.

Sans que votre cœur ne l’entende
Il ne saurait tomber un pleur ;
Quelle est la main qui ne se tende
Vers vous, du fond de son malheur ?


Pensive, auguste et maternelle,
Tenant compte des maux soufferts,
Vous rafraîchissez de votre aile
Les feux mérités des enfers.

Ce n’est pas seulement vers l’ombre
Que va le regard de vos yeux,
Dans la cellule étroite et sombre
Faisant briller l’azur des cieux ;

Ce regard que chacun implore,
Qui luit sur tous comme un flambeau,
S’arrête, plus touchant encore,
Quand il a rencontré le Beau.

L’enthousiasme y met sa flamme
Sans en altérer la douceur ;
Si le génie est une femme,
Vous lui dites : « Venez, ma sœur ;

« Je mettrai sur vous cette gloire
Qui fait les hommes radieux,
Ce ruban teint par la victoire,
Pourpre humaine digne des dieux ! »

Et votre main d’où tout ruisselle,
Sur le sein de Rosa Bonheur
Allumant la rouge étincelle,
Fait jaillir l’astre de l’Honneur !


II


Oh ! quelle joie au séjour morne
Des pauvres Enfants détenus,

Limbes grises, tombeau que borne
Un horizon de grands murs nus,

Lorsque la porte qui s’entr’ouvre,
Laissant passer le jour vermeil,
À leurs yeux ravis vous découvre
Comme un ange dans le soleil !

Pour le penseur chose effrayante,
L’Homme jetant à la prison
La faute encore inconsciente,
Et le crime avant la raison !

Ce sont des Cartouches en herbe
Dont les dents de lait ont mordu
Comme un gâteau, le fruit acerbe
Qui pend à l’arbre défendu ;

Des scélérats sevrés à peine ;
De petits bandits de douze ans,
D’un mauvais sol mauvaise graine,
Tous coupables mais innocents !

Hélas pour beaucoup, la famille
Fut le repaire et non le nid,
La caverne où gronde et fourmille
Le monde fauve qu’on bannit.

Vous arrivez là, douce femme,
Lorsque sommeille encor Paris,
Faisant l’aumône de votre âme
À ces pauvres enfants surpris.


Vous accueillez leur plainte amère,
Leur long désir de liberté,
Et chacun d’eux vous croit sa mère,
À se voir si bien écouté.

Vous leur parlez de Dieu, de l’homme,
Du saint travail et du devoir,
Des grands exemples qu’on renomme,
Du repentir que suit l’espoir ;

Et la prison tout éblouie
Par la céleste vision,
De la lumière évanouie
Conserve longtemps un rayon.


III


Il est d’autres cités dolentes
Que d’autres Dante décriront ;
Les heures s’y traînent bien lentes,
La faute a la rougeur au front.

Sans craindre pour vos pieds la fange,
Vous traversez ces lieux maudits,
Comme un enfer un bel archange
Qui descendrait du Paradis.

Vous visitez dortoirs, chapelle,
Et la cellule et l’atelier,
Allant où chacun vous appelle
Et ne voulant rien oublier.

Si, dans la triste infirmerie,
Au chevet où râle la mort,

Vous trouvez une sœur qui prie,
L’innocence près du remord,

Vous ployez les genoux, et l’âme
Dont l’aile bat pour le départ,
Croit voir resplendir Notre-Dame
À travers son vague regard.

Lorsque se tait la litanie,
Vous vous penchez pour mieux saisir
Sur les lèvres de l’agonie
Le suprême et secret désir.

La jeune mourante, éperdue,
Qui ne parlait plus qu’avec Dieu,
D’une voix à peine entendue,
Confie à votre cœur son vœu.

Cet humble vœu, dernier caprice,
Est recueilli pieusement,
Et de l’enfant l’impératrice
Exécute le testament.


Moniteur du 15 août 1865[1].



  1. On ne peut se défendre d’une certaine tristesse en voyant un grand écrivain passer son temps à rimer de pareilles platitudes.