Poésies de Marie de France (Roquefort)/Fable XX

FABLE XX.

D’une Corneille et d’une Oeille,
alias
D’une Cornaille qui s’asist seur une Berbix[1]

Ensi avint k’une Cornaille
S’asist seur le dos d’une Oaille ;
Dou bec l’ad féri durement[2],
Sa leine li oste asprement.
La Berbiz li a dist pur-coi
Chevausche-tu einsi sor moi,
Or te remuet si feras bien ;
Siete une pièce seur ce Chien[3],
Si fai à lui si cum à mei.
Dist la Cornelle, par ma fei10

Ne t’estuest pas traveillier[4]
[a]De mei apanre n’enseignier,
Jeo suis piéça tute enssengniée[5],
[b]Tant fu-jeo sage et bien vesiée ;
Bien sai seur cui jeo dois séoir
E à séur puiz remenoir[6].

MORALITÉ.

Pur ce nus munstre par respit[7]
Ke ce est voirs que li Sages Hum dit,
Par grant essample et par reproiche
Bien seit Chaz cui barbes il loiche[8]20
Bien s’aparçoit li véziiez
Lesquiex il puet aveir souz piez.


  1. Phædr. append. Burm., fab. 27.
    Anon. Nilant., fab 55, Ovis et Cornix.
    Vincent, Bellov.
  2. Certaine corneille se posa sur le dos d’une grasse brebis et la frappoit si fortement, qu’avec son bec elle lui enlevoit sa laine à flocons.
  3. Assieds-toi un moment sur ce chien.
  4. Ne prends souci, ne t’inquiète pas du soin,
  5. Il y a long-temps que j’ai fait mon éducation.
  6. Et en sûreté demeurer.
  7. Proverbe, sentence.
  8. Lèche.
Variantes.
  1. Que tu me doies ensengnier.

  2. Tant sui je sage et bien lettrée.