Théophile Berquet, Libraire (p. 111-116).

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À M. le duc de Montausier.

Ami ferme et fidèle, unique et sûr asile
Pour le mérite malheureux ;
Prodige de la cour, ennemi généreux
De la complaisance servile ;
Illustre Montausier, l’honneur de ces climats,
Pour qui les portes du trépas
Ont semblé si long-temps ouvertes,
Qui pourrait vous connaître et ne pas regarder
Comme la plus grande des pertes
Une mort que le ciel ne peut trop retarder !

Tandis que d’une âme héroïque
Vous souteniez des maux si longs, si douloureux ;
Tandis que gémissait pour vous la voix publique
(Éloge qui n’est point douteux),
Nos cœurs ne furent pas les seuls qui s’affligèrent :
Ces dieux à qui la crainte éleva des autels,
À ce qu’on m’a dit, partagèrent
L’inquiétude des mortels.

Dans le doux loisir que vous donne
L’heureux retour d’une santé
Qui doit vous faire voir encor plus d’une automne,
Écoutez-moi, voici ce qu’on m’en a conté.
Un dieu de votre connaissance,
Capricieux, cruel, et qu’on appelle amour,
À la nymphe aux cent voix demandait l’autre jour :
Que fait-on maintenant en France ?
Car vous n’ignorez pas, je pense,
Que je n’habite plus dans ce charmant séjour.

Ce qu’on y fait ? répondit-elle,
Louis, dont autrefois vous étiez satisfait,
S’y prépare à punir l’audace criminelle
Des nombreux ennemis que sa gloire lui fait.
Le goût pour ces sortes d’ouvrages
Qu’inspirent les savantes sœurs,
S’y perd faute de protecteurs ;
On y fait peu de cas de vos doux badinages ;
Le vin, le jeu, la chasse, y paraissent meilleurs ;
Et le petit nombre des cœurs
Pour qui le mérite à des charmes
Y sent pour Montausier les plus vives alarmes ;
Il a de mortelles langueurs.

Quoi ! Montausier perdrait la vie !
S’écria cet enfant qui vous a fait aimer
De l’incomparable Julie,
Que le ciel avait pris tant de soin de former.
Cruelle Renommée ! ah ! que viens-je d’entendre ?
En achevant ces mots, il pâlit, il trembla ;
Il ne voulut plus rien apprendre,
Et vers Jupiter il vola.

Est-ce ainsi, maître du tonnerre,
Lui dit-il brusquement devant les autres dieux,
Que vous veillez sans cesse au bonheur de la terre ?
De la troupe des maux le plus pernicieux
Déclare à Montausier une cruelle guerre !
Est-il des jours plus précieux ?

Hé ! d’où vient qu’Apollon, qui dans ce coin rumine
Quelques inutiles chansons,
Et qui, divinité de deux ou trois façons,
Se mêle de la médecine,
Ne cherche point quelque racine
Qui guérisse l’appui de ses chers nourrissons ?

Quoi ! je verrai périr comme un homme ordinaire
Un ami dont le cœur me respecta toujours,

Et qui m’a garanti de tous les mauvais tours
Que de tout temps l’hymen est en droit de me faire !
Non, non, pour Montausier j’obtiendrai du secours :
Vous avez intérêt de ne me pas déplaire.

Mais ne dirait-on pas qu’être de ses amis,
S’écria le dieu de la Thrace,
Exempte de souffrir la fatale disgrâce
Où tous les hommes sont soumis ?
Amour, vous portez loin l’audace :
Vous devriez être content
Que ce mortel, cet homme illustre,
Pour qui vous vous empressez tant,
Ait fini le seizième lustre.
Dans le plus terrible danger
Je l’ai vu tant de fois si peu se ménager ;
Tant de fois de larges blessures
Mes yeux ont vu le fer et le feu le couvrir,
Qu’il ne devrait plus être en état de mourir.

À cette belle remontrance,
L’amour, depuis long-temps irrité contre Mars,
Gardait un dangereux silence,
Et promenait sur lui d’étincelans regards.
Entre ces dieux cruels le désordre allait naître,

Si le grand Jupiter, toujours bon, toujours doux,
N’eût appelé l’amour pour lui faire connaître
Que du fatal instant il n’était pas le maître.
Au fier Destin adressez-vous,
Lui dit-il ; je le vois paraître.

Alors le petit dieu mutin,
Oubliant tout d’un coup Mars et sa réprimande,
Les yeux baignés de pleurs, harangua le Destin.
Ô vous ! à qui rien ne commande,
Ô vous… Ne me fais point de discours superflus,
Interrompit l’être inflexible ;
Je sais ce que tu crains ; mais ne t’afflige plus.
De tout temps j’ai marqué dans ce livre terrible
Qui de tous les mortels règle les actions,
Que Montausier verra cette ligue orgueilleuse,
Malgré les vains efforts de tant de légions,
Apprendre aux autres nations
Des exploits de Louis la suite merveilleuse.

Je ne vous dirai point quels furent les transports
Du dieu dont tout connaît la puissance suprême ;
Pour les représenter, l’éloquence elle-même
Ferait d’inutiles efforts.
Il me semble qu’il dut, dans l’excès de sa joie,

Sentir tout ce que j’ai senti
Quand j’appris que des maux où vous étiez en proie
Le ciel vous avait garanti.

Ne traitez point, seigneur, ceci de bagatelle ;
Ce que je vous écris je le tiens de bon lieu :
Est-il rare qu’une mortelle
En commerce avec plus d’un dieu
Sache du ciel quelque nouvelle ?