Poésies de Madame Deshoulières/32
À Monsieur de Benserade.
Illustre Damon, votre absence
Commence enfin à m’alarmer ;
Hé quoi ! cesseriez-vous d’aimer
Aussitôt que l’hiver commence ?
Revenez dans ces lieux ; tout y parle de vous ;
L’amour vous invite à paraître ;
Suivez ses ordres, mon cher maître :
De ses droits l’amour est jaloux ;
Redoutez son juste courroux.
Que faites-vous à la campagne
Lorsque les fougueux aquilons
Désolent les bois, les vallons ?
N’auriez-vous pas quelque compagne ?
Ce soupçon fait frémir mon cœur ;
De mon cruel destin je connais la rigueur.
Vous ne m’aimez plus, et je gage
Que vous suivrez le bel usage
Qui rend sans crime un cœur volage.
Mais ne serait-ce point aussi
Que, pour entrer dans la querelle
De ce malherbien fidèle
Dont un précieux prix fit en vain le souci,
Vous osez, faible amant, m’abandonner ainsi ?
Pour vous voir condamner, Damon, je vous appelle
Devant les juges que voici.
Ce sont tous gens dont la prudence
Sur celle de Nestor emporte la balance.
L’amoureux Boyer par avance
S’est déclaré mon protecteur.
Perrault, des anciens la terreur,
S’armera de raisons contre votre inconstance ;
Charpentier, au teint vif et frais,
Et dont la divine éloquence
À l’immortalité passera sans relais,
Soutiendra, j’en suis sûre, avec que violence,
Qu’heureux ou malheureux, un cœur ne doit jamais
Sortir de mon obéissance.
Quinault, des plaisirs le soutien,
Et les délices de la France,
Vous donnera pour pénitence
D’aimer long-temps sans espérance.
Le bon abbé du Val-Chrétien
Prendra, s’il s’en souvient, avec soin ma défense.
Mais pour le Clerc, je n’en sais rien.
Lavaux, dont la vertu mérite qu’on le nomme
Un jour à l’évêché de Rome,
Et dont l’esprit est juste et rempli d’équité,
Sera, Damon, de mon côté.
Si vous en voulez davantage
Pour vous ramener sous mes lois,
J’y pourrai joindre le suffrage
Du galant et docte Ménage,
Qui de l’académie a refusé le choix.
Cependant n’allez pas trop craindre ma colère ;
La prudence permet de suivre les saisons ;
Aujourd’hui l’on rirait si, d’un air trop sévère,
Je refusais, Damon, d’écouter vos raisons…