Théophile Berquet, Libraire (p. 20-22).

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Le Tombeau.

Tombeau, dont la vue empoisonne
Les plus agréables plaisirs,
Confond l’orgueil humain, et toutefois ne donne
Ni frein aux passions, ni bornes aux désirs :
Le cœur débarrassé de ces vives alarmes
Que cause le plus tendre amant,
Je venais dans ce bois rêver tranquillement.
De son ombrage, hélas ! que tu gâtes les charmes !
Près de toi, quelque loin qu’on porte l’enjoûment,
Rêve-t-on agréablement ?
Quelle réflexion accablante, importune,
Fait-on lorsque sur toi l’on porte ses regards ?
La mort, par une route au vulgaire commune,
A conduit dans ton sein un homme tel que Mars,
Et tel que le dieu des beaux-arts,
Qui jamais n’éleva d’autels à la fortune,
Et qui pour le mérite eut toujours des égards.
Ailleurs tu caches aux cœurs tendres
Les restes précieux, les adorables cendres
D’un objet dont les soins, ni les ardens souhaits,

Ni les appas, ni la jeunesse,
Ne purent garantir des traits
Que lance la sourde déesse.
Dans cette affreuse nuit dont on ne sort jamais,
Combien renfermes-tu de dépouilles mortelles,
De héros, de savans, de monarques, de belles !
Abîme où tout se perd, si ce n’est que pour toi
Que nous fait voir le jour la nature inhumaine,
Que d’inutiles soins ! que d’abus ! et pourquoi
Pour orner un tombeau se donner tant de peine ?
Pourquoi, pour arriver aux brillantes grandeurs,
Être dévot par mode et flatteur par bassesse ?
Par une criminelle adresse
Pourquoi des mécontens faut-il sonder les cœurs,
Et suivre un heureux fat qu’un ministre caresse ?
Vous coûtez trop, tristes honneurs,
Et vous disparaissez avec trop de vitesse
Pour avoir des adorateurs.
Insatiable et dur avare,
Qui, par la faim, la soif, fais souffrir à ton corps
Tout ce que l’enfer te prépare,
Que te sert de te rendre à toi-même barbare ?
Emporteras-tu tes trésors ?
Et vous, jeunes amans, dont la tendresse extrême
Semble vous faire un sort heureux,

Ah ! pourquoi cédiez-vous à ce pouvoir suprême,
Beaucoup moins doux que dangereux ?

Hélas ! faut-il quitter trop tôt ce que l’on aime,
Le moins d’attachement est toujours le meilleur.
Lorsque l’heure fatale sonne,
On souffre moins par la douleur,

Que par ce qu’il faut que le cœur
Dans ce triste état abandonne.