Théophile Berquet, Libraire (p. 12-14).

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L’Hiver.

à M. lucas de bellesbat.

L’hiver, suivi des vents, des frimas, des orages,
De ces aimables lieux trouble l’heureuse paix.
Il a déjà ravi par de cruels outrages
Ce que la terre avait d’attraits.
Quelles douloureuses images
Le désordre qu’il fait imprime dans l’esprit !

Hélas ! ces prés sans fleurs, ces arbres sans feuillages,
Ces ruisseaux glacés, tout nous dit :
Le temps fera chez vous de semblables ravages.
Comme la terre, nous gardons
Jusques au milieu de l’automne
Quelques-uns des appas que le printemps nous donne :
L’hiver vient-il, nous les perdons.
Pouvoir, trésors, grandeurs n’en exemptent personne :
On se déguise en vain ces tristes vérités ;
Les terreurs, les infirmités,
De la froide vieillesse ordinaires compagnes,
Font sur nous ce que font les autans irrités,
Et la neige sur les campagnes.
Encor si, comme les hivers
Dépouillent les forêts de leurs feuillages verts,
L’âge nous dépouillait des passions cruelles,
Plus fortes à dompter que ne le sont les flots,
Nous goûterions un doux repos
Qu’on ne peut trouver avec elles.
Mais nous avons beau voir détruire par le temps
La plus forte santé, les plus vifs agrémens,
Nous conservons toujours nos premières faiblesses.
L’ambitieux, courbé sous le fardeau des ans,
De la fortune encore écoute les promesses ;
L’avare, en expirant, regrette moins le jour

Que ses inutiles richesses ;
Et qui jeune a donné tout son temps à l’amour,
Un pied dans le tombeau veut encor des maîtresses.
Il reste dans l’esprit un goût pour les plaisirs
Presque aussi dangereux que leur plus doux usage.
Pour être heureux, pour être sage,
Il faut savoir donner un frein à ses désirs.
Mieux qu’un autre, sage Timandre,
De cet illustre effort vous connaissez le prix.
Vous en qui la nature a joint une âme tendre
Avec un des plus beaux esprits ;
Vous qui, dans la saison des grâces et des ris,
Loin d’éviter l’amour, faisiez gloire d’en prendre,
Et qui, par effort de raison,
Fuyez de ses plaisirs la folle inquiétude,
Avant que l’arrière-saison
Vous ait fait ressentir tout ce qu’elle a de rude.