Poésies de François Malherbe/« Si des maux renaissants avec ma patience »


STANCES.


1586.


Si des maux renaissants avec ma patience
N’ont pouvoir d’arrêter un esprit si hautain,
Le temps est médecin d’heureuse expérience ;
Son remède est tardif, mais il est bien certain.

Le temps à mes douleurs promet une allégeance,
Et de voir vos beautés se passer quelque jour ;
Lors je serai vengé, si j’ai de la vengeance
Pour un si beau sujet pour qui j’ai tant d’amour.

Vous aurez un mari sans être guère aimée,
Ayant de ses desirs amorti le flambeau ;
Et de cette prison de cent chaînes formée
Vous n’en sortirez point que par l’huis du tombeau.

Tant de perfections qui vous rendent superbe,
Les restes du mari, sentiront le reclus ;
Et vos jeunes beautés flétriront comme l’herbe[1]
Que l’on a trop foulée et qui ne fleurit plus.


Vous aurez des enfants, des douleurs incroyables,
Qui seront près de vous et crieront à l’entour ;
Lors fuiront de vos yeux les soleils agréables,
Y laissant pour jamais des étoiles autour.

Si je passe en ce temps dedans votre province,
Vous voyant sans beautés et moi rempli d’honneur,
Car peut-être qu’alors les bienfaits d’un grand Prince[2]
Marieront ma fortune avecque le bonheur ;

Ayant un souvenir de ma peine fidèle,
Mais n’ayant point à l’heure autant que j’ai d’ennuis,
Je dirai : Autrefois cette femme fut belle,
Et je fus autrefois plus sot que je ne suis.

  1. Cette image est bonne ; on peut la polir avec succès. Il vaut mieux l’employer en métaphore qu’avec l’attirail d’une comparaison. Vos jeunes beautés est charmant. Remarquez flétrir au neutre pour se flétrir. A. Chénier.
  2. Henri d’Angoulême, Grand-Prieur de France et bâtard d’Henri II, dont Malherbe avoit été gentilhomme, mort au mois de juin 1586. Édit.