Poésies de Benserade/Sur une nouvelle affection

Poésies de Benserade, Texte établi par Octave UzanneLibrairie des bibliophiles (p. 147-149).



Sur une nouvelle affection, aprés la mort d’une Maîtresse.

STANCES.


De qui me plaindrai-je en ce jour,
Ou de la mort ou de l’amour,
Qui tous deux traversent ma vie,
Si les Astres infortunez
Veulent qu’au trépas de Silvie
Tous mes maux ne soient pas bornez ?

Mort aux plaisirs, vif aux douleurs,
Je croyois dans l’eau de mes pleurs
Éteindre ma vie et ma flâme ;
Quand la beauté qui m’asservit,
D’un regard me rendit mon âme,
Et de l’autre me la ravit.

Bel œil jadis si plein d’appas,
Qui dors en la nuit du trépas
Sur les bords du rivage sombre,
Ne trouble pas ton doux sommeil,
Si l’amour veut qu’au lieu d’une ombre
Désormais j’adore un soleil.

Je crus que perdant ton flambeau,
Mon cœur amoureux du tombeau
N’auroit des feux que de ta cendre ;
Et que cette noire maison
Où la Parque t’a fait descendre
Seroit mon unique prison.

Mais un seul rayon de ces yeux
Qui troublent la gloire des Dieux,
M’ôta le titre d’invincible ;
J’accrus ma honte en résistant,
Et pour n’être pas insensible
Il me falloit être inconstant.

Un trait de feu, m’ouvrant le sein,
Changea mon fidèle dessein,
Ma raison se trouva ravie ;

Je fus surpris de sa clarté,
Et contraint pour sauver ma vie,
D’abandonner ma liberté.

Source divine de mes feux,
Souffre l’hommage de mes vœux,
De mes soûpirs et de mes larmes ;
Reçois mon âme sous ta loy,
Et permets que j’offre à tes charmes
Ce qui déjà n’est plus à moy.

Permets qu’un misérable amant
Puisse être jusqu’au monument
Tributaire de ta couronne,
Et traite ce cœur qui se rend
Comme une place qui se donne,
Et non comme une qui se prend.



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