Poésies de Benserade/Sonnets sur la beauté et sur la laideur
SONNETS SUR LA BEAUTÉ
ET SUR LA LAIDEUR
SONNET.
L’autre jour, me sentant pressé
D’écrire en vers avec un zèle
Purement désintéressé
Et sur la laide et sur la belle,
Des neuf sœurs je fus caressé.
J’eus recours à la plus fidèle,
À qui je me suis adressé
Toujours quand j’avois besoin d’elle.
Elle m’inspira tout le miel
Qu’il faut pour plaire, et tout le fiel
Que l’on répand sur ce qui tache ;
Et bien, loin d’en estre éconduit,
La Muse applaudit à ma tâche.
Et me dicta tout ce qui suit.
Sur la Beauté.
PREMIER SONNET.
Bouche vermeille au doux sourire,
Bouche au parler délicieux,
Bouche qu’on ne sçauroit décrire,
Bouche d’un tour si gracieux ;
Bouche que tout le monde admire,
Bouche qui n’est que pour les dieux,
Bouche qui dit ce qu’il faut dire,
Bouche qui dit moins que les yeux ;
Bouche d’une si douce haleine,
Bouche de perles toute pleine,
Bouche enfin sans tant biaiser ;
Bouche la merveille des bouches,
Bouche à donner de l’âme aux souches,
Bouche, le diray-je ? à baiser.
Sur la Laideur.
SONNET II.
Bouche à qui convient laide offrande,
Bouche pernicieux museau,
Bouche livide, pasle et grande,
Bouche où s’échappa le ciseau ;
Bouche qui boit son vin sans eau,
Bouche que chacun appréhende,
Bouche, bec d’un terrible oiseau,
Bouche, il faut bien qu’on te le rende.
Bouche qui ne sent guère bon,
Bouche où les dents sont de charbon,
Bouche, gueule, enfin que m’importe ?
Bouche, te voit-on sans frémir ?
Bouche propre à faire vomir,
Bouche, que le diable t’emporte.
Sur la Beauté.
SONNET III.
Beaux yeux dont l’atteinte profonde
Trouble des cœurs incessamment,
Le doux repos qui ne se fonde
Que sur un si doux mouvement,
De tout ce qu’on dit en aimant,
Beaux yeux, source vive et féconde ;
Beau refrain, doux commencement
Des plus belles chansons du monde ;
Beaux yeux qui sur les cœurs avez
Tant de puissance, et qui sçavez
Si bien jouer de la prunelle ;
Beaux yeux, divin charme des sens,
Vôtre amour est en sentinelle
Pour attraper tous les passans.
Sur la Laideur.
SONNET IV.
Petits yeux ridez par le coin,
Qu’est-il de pis sous l’hémisphère ?
Trop heureux qui vous voit de loin,
De prés c’est une triste affaire.
Il n’y faut tendresse ni soin,
Est-il rien qu’on ne leur préfère,
Pétillans d’un sale besoin
Qu’on ne daigneroit satisfaire ?
Celle à qui sont de pareils yeux,
Pire qu’une comette aux cieux,
Menace tout ce qu’elle lorgne.
Elle veut plaire néanmoins,
Et, si tel objet étoit borgne,
Ce seroit un défaut de moins.
Sur la Beauté.
SONNET V.
Nez des beautez le préalable,
Dont il assortit les appas,
Qui, sans être fait au compas,
N’en est guère moins agréable ;
Ce n’est point le nez qu’on accable
De louanges en pareil cas :
C’est par les défauts qu’il n’a pas
Que le nez est plus remarquable.
Court, il est par fois dangereux ;
Long, nuit aux baisers amoureux
Où la tendresse s’abandonne.
Nez taillé comme il faut qu’il soit,
Et pour la bouche qui les donne,
Et pour celle qui les reçoit.
Sur la Laideur.
SONNET VI.
Nez fort indigne de nos vœux,
Qui trop affecte de paroistre
Toûjours reniflant et morveux,
Bien qu’il soit hors d’âge de l’être ;
Je ne croy pas qu’il vienne à naître
Un tel nez parmy nos neveux.
Chez eux tel nez sera le maître,
S’il n’est pas le plus beau chez eux.
Nez à camouflet, à nazarde,
Qui fait peur à qui le regarde,
Célèbre entre les bourjonnez ;
Nez basti d’une étrange sorte,
Je dis à celle qui vous porte :
Mon cœur n’est pas pour vôtre nez.
Sur la Beauté.
SONNET VII.
Teint d’une merveille naissante,
Teint d’où rejaillit sur ses pas
Une lumière éblouïssante,
Teint qui couronne tant d’appas ;
Teint de fraîcheur réjoüissante,
Teint vif, et des plus délicas,
Teint de jeunesse appétissante,
Teint qui fait par tout du fracas ;
Teint qui les autres teints surpasse,
Teint qui, du moment qu’elle passe,
Rend tous les chemins embellis ;
Teint pur où l’incarnat des roses
Se mêle à la blancheur des lys,
Et confond les plus belles choses.
Sur la Laideur.
SONNET VIII.
Teint de femme ayant trop repu,
Teint qui reluit d’un soin frivole,
Teint qui marque un sang corrompu,
Où le fard s’attache et se cole ;
Teint où tout du pis qu’elle a pû
A fait la petite vérole ;
Teint labouré, chemin rompu :
Champ que la grêle enfin désole ;
Teint grossier marqué de rousseurs.
Que je peus dire des douceurs ;
Teint d’une jaunisse incurable,
Te voir est un fort grand malheur ;
Mais qui te rendroit la couleur
Seroit encor plus misérable.
Sur la Beauté.
SONNET IX.
Beau sein déjà presque remply,
Bien qu’il ne commence qu’à poindre ;
Tetons qui ne font pas un ply,
Et qui n’ont garde de se joindre ;
De jeunesse ouvrage accomply,
Que du fard il ne faut pas oindre.
Si l’un est rond, dur et poly,
L’autre l’égale et n’est pas moindre.
Sein par qui les dieux sont tentez,
Digne échantillon de beautez
Que le jour n’a point regardées ;
Il garantit ce qu’il promet,
Et remplit toutes les idées
Du paradis de Mahomet.
Sur la Laideur.
SONNET X.
Pendantes et longues mamelles
Où les perles ni l’oripeau
N’imposent à pas un chapeau,
Molles et tremblantes jumelles ;
Tetasses de grosses femelles
À couvrir d’un épais drapeau ;
Peau bouffie et rude, moins peau
Que cuir à faire des semelles ;
De vieille vache aride pis ;
Que ne puis-je dire encor pis,
D’un sein qui tombe en pourriture ?
Sein d’où s’exhale par les airs
Un air qui corrompt la nature ;
Sein propre à nourrir des cancers.
Sur la Beauté.
SONNET XI.
Taille à charmer qui l’examine,
Taille autour de qui sans dessein
Des amours vole un tendre essein,
À la beauté joignant la mine ;
Taille de personne divine
Où tout est jeune, frais et sain,
Taille qui n’exclud pas le sein,
Quoique légère, aisée et fine ;
Taille riche pleine d’appas,
Et que les mortelles n’ont pas,
À qui nous rendons tous les armes ;
Heureux qui vous résistera.
Taille où brillent de si doux charmes,
Plus heureux qui vous gâtera.
Sur la Laideur.
SONNET XII.
Taille de chétive étenduë,
Qu’icy pourtant nous étalons ;
Courte, quoiqu’empruntée et duë
À la hauteur de ses talons ;
Taille rarement attenduë
Dans ses magnifiques salons ;
Taille où se trouve confonduë
La cadence des violons ;
Taille enfin de ces mal-adroites
Qui ne laissent pas d’être droites,
Bien que tout y semble à rebours ;
Soit qu’elles soient maigres ou grasses,
Taille où paroissent les amours
En querelle avecque les grâces.
Sur la Beauté.
SONNET XIII.
Mains d’une blancheur nette et pure,
Qui font tout avec agrément,
Et touchent les cœurs proprement
Sans se souiller d’aucune ordure ;
Bras d’une divine structure.
Qui, s’entrelassant tendrement,
Seroient d’un bien-heureux amant
La plus précieuse ceinture ;
Mains qu’on ne sçauroit trop priser,
Bras qu’on ne sçauroit trop baiser,
Mains belles et peu secourables ;
Belles jusques au bout des doigts,
Beaux bras d’un corps plus beau cent fois,
D’un beau tronc branches adorables.
Sur la Laideur.
SONNET XIV.
Mains de servante qui s’entend
À bien travailler au ménage,
Vous n’avez rien de ragoûtant
Pour le plus simple badinage.
Tel à qui de tels bras on tend
Jouë un fort mauvais personnage.
Pour moy, j’aimerois tout autant
Passer un bras de mer à nage.
Mains où de noblesse on ne voit,
Du pouce jusqu’au petit doigt,
Luire nuls traits et nulles marques ;
Bras menus, fragiles rozeaux,
Vous ressemblez aux bras des Parques,
Ou, pour mieux dire, à leurs fuseaux.
Sur la Beauté et la Laideur.
SONNET XV.
Spectacle aussi piquant que doux,
Petits pieds plus blancs que l’albâtre,
Pieds que l’Amour même idolâtre
Comme un de ses plus fins ragoûts ;
Vilains pieds d’un corps pleins d’égouts,
Où chaque mouche est une emplâtre,
Et qui, fardez du même plâtre,
Produisent les mêmes dégoûts ;
Beaux pieds reconnus à leur trace,
Qui marchent de si bonne grace,
Et qui charment les regardans ;
Pieds laids, dignes d’un laid visage,
Maudits pieds tournez en dedans,
Et qui sont de mauvais présage.
Sur la Beauté.
SONNET XVI.
Chacune de vous deux abonde
En talans que nous déclarons :
L’une a des jeux fins et larrons,
L’autre sur l’embonpoint se fonde.
Je suis le plus trompé du monde,
Ou l’une a de beaux genoux ronds.
Je ne dis rien des environs,
Tant je craindrois que l’on me gronde.
Pour l’autre, elle est d’une maigreur,
Et cela soit dit sans aigreur,
Qu’on ne voit en femme ni fille.
Parler icy de ses genoux,
Ce n’est discourir, entre nous,
Que sur la pointe d’une aiguille.
Sur la Beauté et la Laideur.
SONNET XVII.
Cheveux de longueur surprenante
Qui, séparez par le milieu,
À cette belle tenez lieu
D’une robe épaisse et traînante ;
Cheveux de laideur étonnante,
Clair-semez aussi droit qu’un pieu,
Et plantez comme il plaist à Dieu
Sur une tête impertinente ;
Beaux cheveux fins et déliez
Serrant le cœur que vous liez,
Pouvez-vous faire un nœud qui rompe ?
Vous pleins de lentes et de poux,
Vilains cheveux gras, qu’avez-vous
Qui nous tente et qui nous corrompe ?
Sur la Beauté et la Laideur.
SONNET XVIII.
De toutes deux mes vers hardis
Vont instruire la terre et l’onde.
L’une comme Cérès est blonde,
Et je maintiens ce que je dis.
L’autre est comme Io, qui jadis
Sous poil de vache, par le monde
Couroit, errante et vagabonde,
Des chauds climats aux refroidis.
Si des deux l’une a l’encolure
De Cérès et sa chevelure,
Le reste suit visiblement.
Et, sans que l’autre s’en courrouce,
N’est-ce pas dire qu’elle est rousse,
Assez intelligiblement ?
Sur la Beauté.
SONNET XIX.
Quel esprit doux, poly, charmant,
Où la grâce est si familière,
Répand sur tout vôtre agrément
Une vertu particulière ?
Il vous rend sage, régulière :
C’est vôtre plus digne ornement,
Et d’une beauté singulière
Singulier accompagnement.
C’est ce rayon qui nous enflâme,
Et de vos beautez il est l’âme.
Il tempère en vous la rigueur,
Se fait sentir, se fait entendre ;
En vous il excuse le cœur
De ce que le cœur n’est point tendre.
Sur la Laideur.
SONNET XX.
De beauté, vous n’en avez nulle,
Tant la nature mal s’y prit.
Et qui jamais vous entreprit ?
Quand vous avancez, on recule.
Toûjours le même préambule,
Soit en discours, soit par écrit :
Ô que vous avez peu d’esprit !
Et que vous estes ridicule !
Laide et sotte sont attribus
À vous légitimement dûs,
Et dans vous contre vous tout plaide.
Las ! je m’emporte et prens l’essor,
Concluant que c’est pis encor
D’être sotte que d’être laide.
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