Poésies de Benserade, Texte établi par Octave UzanneLibrairie des bibliophiles (p. 116-117).



Plainte.

STANCES.


Beauté qui triomphez de moy,
Vous rêvez à je ne sçay quoy,
Sans qu’on puisse juger quel chagrin est le vôtre,
D’où viennent ces noirceurs dessus un front si doux ?
Est-ce que je suis près de vous,
Ou que vous êtes loin d’un autre ?

Oüy, ma présence vous déplaît,
Et mon sort, tout affreux qu’il est,
N’a rien qui vous surprenne et rien qui vous étonne ;
Vous ne prenez pas garde aux ennuis que je sens,
Et vous ne rêvez qu’aux absens,
Ou vous ne rêvez à personne.

Peut-être, en vous parlant d’un feu
Dont l’ardeur vous touche si peu,
Je vous ay ramené quelque image effacée,
Et par mon innocent et funeste entretien,
Un autre tourment que le mien
Vous est tombé dans la pensée.

Peut-être, quand mon œil ardent
Vous contemploit en imprudent,
Ce qu’en dépit de moy trop souvent il hazarde,
Vous disiez en vous-même, et mon cœur l’entendoit :
Hélas ! l’autre me regardoit,
Comme celuy-cy me regarde.

S’il est ainsi, j’aime bien mieux
Ne dire mot, baisser les yeux,
Et prendre une froideur qui soit comme la vôtre,
Que de vous mettre au point où vous étiez tantôt.
Hélas ! oubliez-moy plutôt,
Que de vous souvenir d’un autre.



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