Poésies complètes de Jules Laforgue/Les Complaintes/Complainte de la Vigie aux minuits polaires

Poésies complètesLéon Vanier, libraire-éditeur (p. 45-46).


COMPLAINTE DE LA VIGIE
AUX MINUITS POLAIRES


Le Globe, vers l’aimant,
Chemine exactement,
Teinté de mers si bleues,
De cités tout en toits,
De réseaux de convois
Qui grignotent des lieues.

Ô ma côte en sanglots !
Pas loin de Saint-Malo,
Un bourg fumeux vivote,
Qui tient sous son clocher,
Où grince un coq perché,
L’Ex-Voto d’un pilote !

Aux cierges, au vitrail,
D’un autel en corail,

Une jeune Madone
Tend, d’un air ébaubi,
Un beau cœur de rubis
Qui se meurt et rayonne !

Un gros cœur tout en sang,
Un bon cœur ruisselant,
Qui, du soir à l’aurore,
Et de l’aurore au soir,
Se meurt, de ne pouvoir
Saigner, ah ! saigner plus encore !