Poésies complètes (Le Goffic)/Préface


PRÉFACE

DE LA PREMIÈRE ÉDITION




On a réuni ici les vers publiés par l’auteur, de 1889 à 1903, sous les titres d’Amour breton, du Bois Dormant et du Pardon de la reine Anne ; on y a joint, sous le titre suffisamment élastique d’Impressions et Souvenirs, quelques pièces nouvelles sans lien très apparent et dont plusieurs sont de simples pièces de circonstance.

Et tout cela bout à bout ne fait pas un bien gros recueil : la poésie est un luxe pour certains. Il n’y a pas lieu de s’en plaindre en l’espèce, puisque, tout léger qu’est ce livre, l’auteur eût souhaité le réduire encore. S’il ne s’y est pas décidé, c’est moins par faiblesse paternelle que pour obéir au vœu de quelques personnes qui désiraient avoir un texte complet et fidèle du premier de ses poèmes, Amour breton, depuis longtemps introuvable et qu’une page merveilleuse de M. Anatole France recommandait à leur attention. L’indulgente sympathie d’un tel maître lui servira de caution près des uns et d’excuse près des autres.

Par ailleurs, il sait très bien tout ce qu’a de trouble, d’indéfini et quelquefois de contradictoire la sensibilité qui s’exprime ici. S’il a pu çà et là, comme l’en louait M. Charles Maurras, donner « à l’incertitude des choses une voix précise, une voix classique et latine », c’est peut-être que, du côté maternel, une lointaine ascendance italienne travaillait à discipliner en lui les élans du Celte : elle n’a pas supprimé le Celte et il n’y paraît que trop. Qu’y faire ? Il faut savoir se résigner à être de sa race.

L’auteur ose donc se réclamer de la sienne près du lecteur. « La pure, l’inimitable note celtique », pour parler comme Matthew Arnold, ne s’est pas tue avec Taliésin et Lywarc’hen. Elle sonne encore chez nos bardes. Mais elle est inséparable de la langue et peut-être de l’atmosphère bretonnes : sous un autre ciel, dans un autre idiome, sa monotonie devient vite fatigante. Il en est de cette note presque continûment élégiaque comme du motet en l’honneur de saint Patrice dont les moines irlandais ne pouvaient se rassasier et qui avait « sons si clers et si doux » que le saint lui-même descendait du paradis pour mieux l’ouïr. Or, un jour que le chœur des moines reprenait pour la troisième fois la prestigieuse rengaine, un profane demanda en bâillant : « Est-ce que vraiment vous ne savez pas d’autres chansons ? » Sur quoi, dit la légende, le charme se dissipa, les moines demeurèrent bouche bée et Patrice s’en fut fort mécontent.

Une mésaventure analogue attend, peut-être, près des lecteurs français l’auteur des petits poèmes en mineur qu’on va lire et qui ne sont qu’un écho affaibli, une variante personnelle et moderne de l’éternel gemitus Britonum. Les uns bâilleront ; les autres souriront. Mais deux ou trois peut-être, chez qui s’est conservé le goût romantique des larmes, feront comme les amis des beggards dont parle Michelet et, « fuyant les cathédrales, s’en viendront furtivement, le dimanche, surprendre aux caves ce petit chant qui fait pleurer ».