Poésies complètes (Le Goffic)/Huelgoat

Poésies complètesLibrairie Plon (p. 250-252).


HUELGOAT


À Alfred Droin.


Cimier de Breiz-Izel, vieux nom seigneurial
Où palpite en syllabes d’or et de cristal
L’écho d’une lointaine et mourante fanfare,
Huelgoat !… Je vois un grand cheval blanc qui s’effare
Sur la crête d’un mené chauve, en plein azur,
Et dont le cavalier aux yeux de songe, Arthur,
Brenin de Galle et pentyern des Armoriques,
Tout l’infini dans ses prunelles chimériques.
S’époumone à sonner du cor par vaux et monts…
Huelgoat ! Le sol tressaille et gronde. Quels démons
Dans la nuit de ses flancs ont foré ces puits d’ombre ?
Vers quel Styx innommé, troupeau muet et sombre,

Roulent, le pic au poing, ces hommes demi-nus ?
Sous vos cernes de plomb je vous ai reconnus,
Derniers-nés d’Obérour le Pâle[1], et je vous aime :
Poètes et mineurs, notre sort est le même,
Et nous aussi, l’étoile au front, le pic en main,
Nous tâtonnons aux profondeurs du cœur humain…
Huelgoat ! Sources, ruisseaux, torrents, forêts sacrées,
Rumeur des pins pareille aux rumeurs des marées,
Chanson des nids, babil des eaux sous le hallier,
Longs appels des chevreuils, comment vous oublier ?…
Huelgoat ! Huelgoat ! Sur la bruyère desséchée,
Lorsque le vent d’hiver menait sa chevauchée,
Tout l’horizon, de Lopéret à Ruguellou,
Se rebroussait comme une immense peau de loup.
Mais, l’été, quand le vent du sud rasait la plaine,
Si traînante et si douce était sa cantilène
Qu’on eût dit par moment un vieil air de missel ;
Les champs fumaient, tandis que sur Roc’h-Trévézel,
Lentement, d’un calice invisible sortie,
La lune se levait, blanche comme une hostie…
Huelgoat ! Le Camp romain, le Chaos, les menhirs…
J’entends bruire en moi l’essaim des souvenirs ;
J’évoque Saint-Herbot au pied de sa cascade,
Le cancel dont un ange a ciselé l’arcade,

La table aux crins, naïf hommage des pastours,
Le Rusquec et ses bois et sa vasque et ses tours,
Et le val d’Ellez, plein d’odorantes bouffées,
Oû l’on marche ébloui dans un conte de fées…
Huelgoat ! Le soir descend sur la forêt. Tout bruit
S’est tu. Porche d’argent du château de la Nuit,
Les bouleaux du Skiriou m’ouvrent leur blanche ogive ;
L’Oiseau Bleu me fait signe et veut que je le suive,
Et je m’attends à voir venir sur le chemin
La Belle au Bois dormant, une rose à la main…

  1. Héros de Brizeux au chant IV des Bretons