Poésies choisies de André Chénier/Derocquigny, 1907/La jeune Captive

Pour les autres éditions de ce texte, voir La Jeune Captive.

Odes, Texte établi par Jules Derocquigny (p. 120-122).


III

LA JEUNE CAPTIVE


« L’épi naissant mûrit de la faux respecté ;
Sans crainte du pressoir, le pampre tout l’été
Boit les doux présents de l’aurore ;
Et moi, comme lui belle, et jeune comme lui.
Quoi que l’heure présente ait de trouble et d’ennui,
Je ne veux point mourir encore.

« Qu’un stoïque aux yeux secs vole embrasser la mort.
Moi je pleure et j’espère ; au noir souffle du nord
Je plie et relève ma tête.
S’il est des jours amers, il en est de si doux !
Hélas ! quel miel jamais n’a laissé de dégoûts. ?
Quelle mer n’a point de tempête !

« L’illusion féconde habite dans mon sein.
D’une prison sur moi les murs pèsent en vain,
J’ai les ailes de l’espérance ;

 
Échappée aux réseaux de l’oiseleur cruel,
Plus vive, plus heureuse, aux campagnes du ciel
Philomèle chante et s’élance.

« Est-ce à moi de mourir ? Tranquille je m’endors,
Et tranquille je veille, et ma veille aux remords
Ni mon sommeil ne sont en proie.
Ma bienvenue au jour me rit dans tous les yeux ;
Sur des fronts abattus mon aspect dans ces lieux
Ranime presque de la joie.

« Mon beau voyage encore est si loin de sa fin !
Je pars, et des ormeaux qui bordent le chemin
J’ai passé les premiers à peine.
Au banquet de la vie à peine commencé,
Un instant seulement mes lèvres ont pressé
La coupe en mes mains encor pleine.

« Je ne suis qu’au printemps, je veux voir la moisson ;
Et comme le soleil, de saison en saison,
Je veux achever mon année.
Brillante sur ma tige et l’honneur du jardin,
Je n’ai vu luire encor que les feux du matin :
Je veux achever ma journée.

« O mort ! tu peux attendre ; éloigne, éloigne-toi ;
Va consoler les cœurs que la honte, l’effroi,
Le pâle désespoir dévore.
Pour moi Paies encore a des asiles verts,
Les Amours des baisers, les Muses des concerts ;
Je ne veux point mourir encore ! »

Ainsi, triste et captif, ma lyre toutefois
S’éveillait, écoutant ces plaintes, cette voix.
Ces vœux d’une jeune captive ;
Et secouant le faix de mes jours languissants,
Aux douces lois des vers je pliai les accents
De sa bouche aimable et naïve.

Ces chants, de ma prison témoins harmonieux,
Feront à quelque amant des loisirs studieux
Chercher quelle fut cette belle :
La grâce décorait son front et ses discours,
Et, comme elle, craindront de voir finir leurs jours
Ceux qui les passeront près d’elle.
Saint-Lazare.