Poésies badines et facétieuses/Tirliberly

Triliberly

TIRLIBERLY.

CONTE.

Lise couchée, au retour de l’église,
Disait à Jean : Mon Dieu, le bel outil ?
Quel est son nom ? — Tirliberly, dit-il.
« — Tirliberly, sera vraiment, — dit Lise,
« Dorénavant mon bijou favori. »
Tirliberly mit toute son entente
À bien ouvrer, tant qu’en peu dépéri.
Jean se souvint qu’il avait une tante,
Et s’embarqua pour le Pondichéry ;
Au bord de l’eau, grands adieux ! l’on s’embrasse
Propos de femme, et fadeurs de mari :
— Lise, au revoir ! Jean, mon ami, de grâce,
Laisse-le-moi !… — Quoi ? — Le Tirliberly.
L’homme eut beau dire, et beau rire et beau faire,
S’il ne le laisse, il ne partira point ;
Lise l’a dit… Donc pour la satisfaire,
Jean fouille et prend par-dessous son pourpoint,
N’importe quoi, tout ce qui vint à point,
Propre à donner le change à l’ingénue.
Quoi que ce fût : « Tiens, — dit-il, — le voilà ;
Cours après, cherche. — Et ce disant, il rue
Ce qu’il tenait, dans l’herbe haute et drue,
Puis, sur le-champ monte en mer et s’en va.

Or, n’ayez peur que simple ou trop honnête,
Lise, à tourner incessamment la tête
Vers le vaisseau, gagne un torticolis :
Ce n’est le point, où son esprit s’arrête ;

Tout son penser vise au Tirliberly.
Onc ne vit chien plus à la quête.
Vaine recherche ! elle ne trouve rien.
Dieu sait l’angoisse ! « Ô douleur sans pareille
« Là, j’ai perdu le plus beau de mon bien :
« Tirliberly !… que ma voix te réveille,
« Par-dessus l’herbe, à mes cris lève-toi.
« À mon aspect tu croissais à merveille,
« Et tu semblais avoir des yeux pour moi.
« Tirliberly !… seras-tu sans oreille ? »

À ce haut cri, dans les airs épandu,
Sort de la roche un jeune anachorète,
Frais comme rose, et qui, sous sa jaquette,
A plus et mieux que Lise n’a perdu.
« Père aidez-moi. — dit la belle éplorée,
« Vous me voyez plus que désespérée,
« Pour un bijou dans l’herbe enseveli ;
« Bijou, vraiment, qui passe le joli,
« Sans lui je meurs, sans lui rien ne m’agrée,
« Il me valait lui seul tout l’Empirée.
« Ce bijou rare a nom : Tirliberly.
« Savez que c’est, si connaissez la pompe
« De ce bas monde. Hélas ! un maladroit
« Me l’a fait perdre, et si je ne me trompe,
« Il est tombé non loin de cet endroit.
« Tenez, cherchons, nous y voici tout droit. »

Mu de pitié, le pauvre solitaire,
Tout bonnement cherche et cherche à talon,
Sans savoir quoi. Tel un visionnaire
(Mons Arouet, suzerain de Voltaire)

Cherche le jour dans la nuit de Newton !
Ou, si l’on veut, tel un savant Breton[1]
Grand scrutateur de forme planétaire,
Dessous le pôle, en cherche une à la terre.
De charité, le jeune homme rempli,
Met donc le front et le nez dans les herbes ;
Et retroussé jusqu’au Tirliberly.
En laisse voir un, tout des plus superbes.
L’apercevant, Lise jette un grand cri :
— Ah ! le voilà ! — L’ermite se redresse,
Et prenant part à sa vive allégresse,
Demande à voir un bijou si chéri.
Lise lui dit : — Vous l’avez… — et le presse
De le lui rendre. À cela l’homme saint
Reste muet. Elle insiste… Il se plaint
D’un tel soupçon, et consent qu’on le fouille.
Lise y procède et saute à la quenouille
Avec laquelle Ève nous a filés…
Gens, au désert, par la grâce exilés,
Antoines, Pauls, Hilarions, Arsènes,
L’esprit malin vous a bien fait des siennes,
Convenons-en ; mais n’en fûtes jamais
Si lutinés, ni serrés de si près !
Tirliberly trahit enfin son maître ;
Le jouvenceau succombe innocemment.
Lise innocente encore en ce moment,
De sa main propre emprisonne le traître ;
Et d’innocence en innocence, ainsi,
Jean fut très-Jean ; mais Lise en fut aussi

Bien plus savante ; apprenant de ceci :
Qu’un mari peut aller à la campagne,
Sans pour cela qu’en ce siècle poli,
À la maison sa charmante compagne
Demeure oisive ou sans Tirliberly,
Et que souvent, loin d’y perdre, elle y gagne.

  1. Maupertuis.