Poésies badines et facétieuses/Saint-Guignolé

SAINT GUIGNOLÉ.

CONTE.

Trop bien savez que dans la Grèce,
Des beaux-arts autrefois maîtresse,
Priape, au plaisirs consacré,
Fut en grand pompe révéré ;
Son nom seul dans le catéchisme
Portait un air de volupté.
Bref, plus grande divinité
Ne fut onc dans le paganisme,
Ses temples étaient boulingrins,
Vergers fleuris et beaux jardins,
Où par d’excusables faiblesses,
De Paphos les jeunes prêtresses
venaient mêler l’emportement
À la douceur du sentiment.

Là n’habitait sagesse austère,
Qui trop souvent par vains discours,
De nos plaisirs trouble le cours ;
Mais bien l’art d’aimer et de plaire
Douce et vive persuasion,
Désirs doublés de toutes forces,
Jeux badins, qui, par mille amorces,
Piquent l’imagination.
Le plaisir seul était le guide
Qu’on choisissait pour s’égarer ;
Et la jouissance rapide
Désapprenait à soupirer.

Dans ces réduits si pleins de charmes
Priape était représenté
Avec son sceptre, avec des armes
D’une merveilleuse beauté…
Quelles armes !… dont la blessure
Fait couler un plaisir flatteur !
Divin Priape, à ta piqûre
S’émeut le plus farouche cœur !
Heureuse la nymphe légère
Qui, trompant sa jalouse mère,
Peut saisir un poignard si doux ;
Qui, sentant tressaillir son âme
De la volupté qui l’enflamme,
Et meurt et revit de ses coups !
Pour nous, vil peuple, race étique,
De cette armure magnifique
Nous portons un léger fragment,
Ce qu’à Priape, la nature
Donna si littéralement,
Nous ne l’avons qu’en miniature.
Sans être Gascon sur ce point
Cependant je ne m’en plains point.

Mais pourquoi ma muse cynique,
Osant d’un œil audacieux
Percer dans les secrets des dieux,
Recherche-t-elle un saint antique ?
Il s’en présente dans ces lieux,
Qui vaut Priape et beaucoup mieux ;
C’est le benoît saint Guignolé,
Qui, fuyant sa triste patrie,
Où régnait Bellone en furie,

Traversa le ruisseau salé,
Pour venir en un pays sauvage,
Sans nulle consolation,
De zèle et de dévotion,
Faire le triste apprentissage.
Lieux escarpée il choisissait,
De mets grossiers se nourrissait.
Buvait son vin jusqu’à la lie ;
Mais, quand chez lui se présentait
Veuve accorte ou femme jolie,
Le bon ermite qu’il était,
Tout doucement l’entretenait,
Parlant d’une façon si belle,
Que tant nice et jeune fût-elle,
À son point bientôt l’amenait.
Or. ne pensez pas que ce langage
Déplut aux beautés du canton ;
Chacun du saint personnage
Voulait tirer quelque leçon :
Lui-même n’y pouvait suffire,
Bien que grâce aux heureux talents
Que le ciel donne à ses clients,
Sur cet article il fut grand sire.

Après sa mort on lui rendit
Honneurs divins sans contredit ;
Tous ces dévots brûlant le zèle
(Avec dévots j’entends ici
Nombre de dévotes aussi)
Lui bâtirent une chapelle
Sur le penchant d’un vert coteau
Lieu propre à faire la prière,

Qu’on trouve aux Heures de Cythère
Tout auprès serpente un ruisseau
Qui semble dire en son langage :
— Profitez de votre bel âge ;
Saisissez les moments heureux
Que le ciel accorde à vos vœux.
Ainsi que fuit cette onde pure,
Le temps s’échappe sans retour ;
Suivez la loi de la nature,
Elle vous présente un beau jour.

Au-dedans de cette chapelle,
Où vient souvent troupe fidèle,
Aucun portrait n’est étalé.
Hors celui de saint Guignolé.
Sans draperie et toute nue,
Mais pleine de cette fierté
Que sait donner la volupté,
Paraît en un coin sa statue.
Tout ce qui peut d’un corps parfait
Offrir l’image intéressante,
S’y trouve assemblé trait pour trait.
Le sculpteur à la main savante,
Par un chef-d’œuvre de son art,
A surtout formé Jean-Chouard
Dans une attitude si belle,
Si touchante et si naturelle,
Qu’il n’est Lucrèce à son aspect
Qui ne frémisse de respect.
Or, ne présumez qu’à la vue
Tout son mérite soit borné ;
Au nouveau Priape est donné

Talent de plus grande étendue,
Talent qui grossit chaque jour,
Les revenus du dieu d’amour.
Car toute matrone indignée
De n’avoir support ni lignée,
Et voyant que sans son mari
Le ruisseau d’amour est tari,
N’a qu’à râcler d’une main sûre
Ce précieux échantillon,
Ce doux ami de la nature.
Et puis boire de la râclure,
Bien infusée en un bouillon ;
Pas n’est besoin d’autre aventure.
Aussitôt ventre de grossir,
Langueur de se faire sentir :
Bref, pour les fruits du mariage
Bien plus utile est ce breuvage,
Qu’un époux froid et catharreux,
Le plus souvent encor goutteux,
Qui suivant l’usage ordinaire,
De l’hymen au geste glacé,
Auprès de sa femme placé,
Ne fait, hélas ! que de l’eau claire.

Ici, — dira quelque censeur,
Affectant un souris moqueur,
En pensant me mettre à la gêne, —
Si de votre saint ratissé,
Et dans un bouillon infusé,
Fille buvait à tasse pleine,
Dites-moi : du dévot outil
Bien ou mal arriverait-il ?


À cela ma réponse est prête.
D’abord dirai, je n’en sais rien :
Fille prudente et d’air honnête,
Craint toujours de risquer son bien ;
Et puis un importun critique,
Un Bussy, par des traits railleurs,
Trop applaudi de maints lecteurs,
viendrait la mettre en sa chronique.
Si pourtant le saint s’égarait,
Et, par une erreur imprévue,
Agissait à la boulevue,
Quel grand mal cela causerait ?
J’ai vue mainte fille en ma vie,
Fille d’esprit, jeune et jolie,
Qui, pour avoir au tendre ébat,
Reçu parfois échec et mat,
N’en-a que mieux été choyée,
Même pour pucelle employée.
Les maris sont de bonnes gens,
On les condamne à tous dépens ;
Témoin de Vulcain l’épousée,
Et de Mamolin la fiancée.
Pour eux ne brille cette fleur
Qu’amour, diligent moissonneur,
Sait recueillir avant la fête
Que le tardif hymen apprête.