Poésies badines et facétieuses/Le pirate

LE PIRATE

CONTE.

Amour souvent se niche dans le froc :
Nonnains n’ont pas toujours le cœur de roc.
Guimpe et béguin sont de faibles barrières ;
Voile, cordon, cilice et chapelet
Ne font point peur à chevalier discret,
Qui sait joûter de toutes les manières.
Murs vainement prêtent leur épaisseur :
Grille de fer défend mal la pudeur ;
Quand Cupidon, signalant sa puissance,
Pour se jouer, l’attaque quelquefois,
Traits enflammés la mettent aux abois :
Elle se rend sans faire résistance ;
Et dans couvent, comme ès cours des grands rois,
Filles y vont en terribles arrois.
Oyez ceci, vous qui voulez apprendre
Comment tel cas se peut apercevoir :
Mon désir est de le faire savoir,
Si vous avez le dessein de m’entendre.

Au fond d’un val, non fort loin de la mer ;
Dans les enclos d’un vaste monastère,
Nonnes vivaient en destin très-amer,
De voir couler leurs beaux jours sans rien faire.
Or, il advint qu’au rivage prochain,
Un Corsaire fit un larcin
Qui fut suivi de son naufrage ;
Sa nef vint se briser contre un roc du rivage,
Puis dans l’abîme se plonger ;

Par bonheur il savait nager,
Et, gagnant le bord avec peine,
Après avoir repris haleine,
Fatigué des flots et du vent,
Il suit le chemin du couvent,
Sans savoir quelles gens y faisaient leur retraite.
Il y frappa : d’abord on vint l’interroger.
Une nonnain, jeune et bien faite,
Eut pitié de son sort et voulut le loger ;
Mais c’était contre l’ordre, et pour fléchir l’abbesse,
Qui n’avait pas l’âme tigresse,
La nonne mit la charité
Dans les intérêts du Corsaire.
Faites lui, — dit l’abbesse, — à votre volonté ;
« Mais surtout cachez ce mystère.
« Un homme dans ces lieux ! ah ! je tremble, ma sœur :
« Notre évêque a tant de rigueur ! »
« Vous vous moquez, Madame : et qui lui pourra dire
— Reprit la gentille nonnain !
« Faudra-t-il qu’un pauvre homme expire,
« Faute d’un secours si prochain ? »

Alors la pitié triomphante
Décida pour l’aventurier ;
Loin de se voir injurier,
On le mit contre son attente,
Dans un lieu reculé du commerce et du bruit.
Tout le favorisait ; il était déjà nuit.
Pour sécher ses habits et chasser sa faiblesse,
Le feu s’allume ; on lui donne du vin.
Pendant cela, l’esprit malin
Faisait désespérer l’abbesse.

Le Pirate était jeune et beau ;
Le travail du chemin, l’humidité de l’eau,
Faisaient languir ses yeux et pâlir son visage.
Il avait l’air doux et discret :
On est tenté pour le secret.
Un attirail dévot ne rend pas toujours sage :
Si l’amour se servit des traits du Jouvenceau,
Pour frapper vivement le cœur de la pucelle,
(C’était un délicat morceau),
Elle ne parut pas moins belle.
On commença par les remercîments ;
L’étranger en savait bien faire ;
Un cœur qui s’attendrit ne se contente guère
D’une foule de compliments.
La nonnain dans ce lieu n’était pas nécessaire ;
Un ordre de l’abbesse aussi la fit sortir.
Elle commençait à s’y plaire ;
Mais pour quelque moment, il en fallut partir.

Dès que la porte fut fermée :
« Vous souffrez, — dit l’abbesse, — il faut vous reposer. »
Le galant connut bien qu’il pouvait tout oser :
Les nonnes dans le monde, ont bonne renommée.
Il ne fallut pas grand effort :
La guimpe se levait, on respirait plus fort,
Les yeux brillaient ; l’heure était arrivée
Que la place au vainqueur allait être livrée…

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Mais sur cet endroit du tableau,
Il est fort à propos de tirer le rideau.

La sœur revint quelques moments ensuite,
Lasse de garder le mulet ;
À la tentation, Satan l’avait induite,
Quoiqu’elle eût un grand chapelet.
L’abbesse lui fit place, et gagna sa cellule.
L’inconnu, pour payer son hospitalité,
Lui fit un compliment tout plein de piété.
Elle ne fut pas incrédule.
Après elle le fit coucher,
Et fut trouver la jeune abbesse,
Qui ne songeait pas à pécher,
Et rendait grâce au Ciel de sa grande tendresse.
« Vous avez fait, Madame, une bonne action :
« Quelque saint vous a pris en sa protection,
— Lui dit la sœur douce et flatteuse,
« Hélas ! que vous êtes heureuse !… »
« — On ne peut faire trop de bien,
— Reprit l’abbesse satisfaite :
« Charité, du péché fait rompre le lien ;
« Aux pauvres affligés, il faut donner retraite. »

À la nuit succéda le jour.
À peine était-il de retour,
Qu’on fut visiter le Corsaire ;
Tels soins ne lui devaient déplaire ;
Mais le secret toujours ne pouvait pas durer :
Des nonnains, en ce lieu, la troupe était nombreuse.
Enfin pour éviter quelqu’histoire fâcheuse,
Il fallut bien se séparer.
Ce ne fut pas sans répandre des larmes,
Où l’inconnu trouva de nouveaux charmes.
Il promit tendrement de revenir un jour.

Et de conserver son amour.
On ne le crut pas homme à dire une imposture.
Il retourna s’exposer sur les flots ;
Et pour finir le conte, il faut dire en deux mots
La suite de cette aventure.

Quelques mois après son départ,
Avec étonnement on vit enfler l’abbesse ;
Elle en rougit aussi ; mais c’était un peu tard.
S’apercevoir de sa faiblesse.
Neuf lunes achevaient leur cours,
Quand une cruelle colique,
Que d’abord on crut néphrétique,
Effraya les nonnains et menaça ses jours.
Pour soulager sa peine, on mit tout en usage :
Les vieilles lui criaient : courage !
Les jeunes plaignaient sa douleur.
Mais, comme avec le temps, il n’est rien qui n’éclate,
On vit naître, non sans terreur,
Un gage bien formé de l’amoureux pirate.

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Après d’inutiles discours
Sur cette affaire d’importance.
Il fut conclu de garder le silence,
Et du petit corsaire on conserva les jours.
Mais une nonne scrupuleuse
Le dit dans sa confession,
Et de sa pitié généreuse
L’abbesse reçut rude punition.