Poésies badines et facétieuses/La bougie de Noël

La bougie de Noël.

LA BOUGIE DE NOËL.

CONTE.

À Pise, ville d’Italie.
Habitait un certain nomme Dalcantaris,
Jaloux de sa moitié jusqu’à la frénésie :
Le fait n’est étonnant, Italiens maris
Sont sujets, comme on sait, à visions cornues.
Celui-ci, galant autrefois,
Savait sur le bout de ses doigts
Les rubriques d’amour, même les moins connues.
Pour mettre donc en sûreté
Son honneur, ou plutôt celui de son épouse,
Ceintures de virginité
Vinrent d’abord s’offrir à son âme jalouse ;
Mais c’était peu pour lui. Les plus sûrs cadenas
Pour garder ce trésor, font en vain résistance.
Le drôle le savait, et par expérience ;
Voici donc ce qu’il fit pour éviter le cas.
Il joignit à cette ceinture,
Vers l’endroit dangereux, deux lames de rasoir
Deux ressorts les faisaient mouvoir,
Et dès qu’on les lâchait, refermaient l’ouverture.

Sa femme à peine eut reçu ce présent,
Que pour tromper sa méfiance,
Elle en propose à son amant
La dangereuse expérience.
Une nuit que, cédant aux charmes des pavots,
Notre Argus, sur la foi de la chaste ceinture,

Reposait, — si jamais on vit dans la nature
Un jaloux dormir en repos ;
L’amant arrive : il court dans les bras de sa belle.
Par des baisers, on prélude un moment,
Et las de ces faveurs » qui croissent son tourment,
Il en cherche une plus réelle.
L’infernale machine arrête ses plaisirs ;
Mais sa main fait mouvoir le ressort qui s’oppose,
Et découvre a ses yeux tout l’éclat de la rose
Dans le centre de ses désirs.
Le serpent qui tenta notre commune mère
Se réveille d’abord à cet aspect charmant.
Et leur fit inventer, dans cet heureux moment,
Les moyens de se satisfaire.
Que ne surmonte point un amour violent ?
Des deux ressorts, la belle en tenait un, l’Amant
Retenait l’autre, et dans cette aventure
Le serpent, sans trembler saisit la conjoncture,
Et se plonge à l’instant avec vivacité,
Dans le sein de la volupté.
À cette douce approche, on s’emporte, on s’oublie ;
On est prêt à perdre la vie ;
On ne pense plus ; mais on sent :
Et dans ce transport si puissant,
Le serpent, au milieu de l’ardeur qui l’anime,
Se voit la funeste victime
Des rasoirs échappés ; et cet endroit si beau,
Trône de ses plaisirs, en devient le tombeau.
Aux cris de l’homme, accourt la Soubrette tremblante :
Elle emmène l’Amant, tandis que son Amante,
Ignorant du serpent les mortels déplaisirs,
Jouit confusément de ses derniers soupirs.


À de si doux transports vient succéder la plainte,
Qui fit bientôt place à la crainte :
Il fallait au plutôt retirer le serpent,
Et l’embarras était comment ;
Un tire-bourre en fit heureusement l’affaire.
L’animal encor furieux,
Ne sortit qu’avec peine, écumant de colère,
Quoiqu’il eût les larmes aux yeux.

Sur le lieu de sa sépulture
Il fut question d’opiner :
Pour en conserver la figure,
La Dame à l’embaumer paraissait incliner.
La Soubrette disait que ce serait folie,
Et que besoin n’était de l’enchâsser,
Tels animaux étant communs en Italie ;
Par la fenêtre enfin, elle le fit passer.

Une vieille dévote, en allant à l’Église,
(Car c’était, m’a-t-on dit, Noël le lendemain),
Trébuche et laisse échapper de sa main
La lanterne qu’elle avait prise ;
Le hasard fit qu’a ses pieds, le serpent
Tombe au moment qu’elle tâtonne ;
Pour sa bougie, elle le prend,
Le met dans sa lanterne ; ainsi Dieu n’abandonne
Ses serviteurs, — dit-elle, et sait les secourir.
Elle arrive à l’église, elle dit des premières
Ce que par cœur elle sait de prières ;
Mais bientôt a son livre il lui faut recourir.
Elle met sa bougie aux mains de sa voisine ;
Jusqu’à celles du clerc elle parvient enfin.

Il souffle sur la mèche ; il se tourmente en vain
Pour l’allumer ; tant plus il l’examine,
Plus ce qu’il tient lui paraît surprenant.
Une veuve à l’Autel venait à ce moment :
Qu’est-ce ceci, dit le clerc ? — Ah ! dit-elle,
C’est un… Là les sanglots lui coupèrent la voix,
Tant cet objet puissamment lui rappelle

Ce que la mort lui ravit autrefois.
Le clerc alors comprenant le mystère :
À d’autres, — cria-t-il, d’une voix de courroux,
Cette bougie est faite à s’allumer chez vous,
Mesdames, que chacun fasse son ministère !