Poésies badines et facétieuses/L’aimable jeu

L’AIMABLE JEU !

CONTE.

Pour amortir le feu de paillardise,
De cinq contre un, vive l’aimable jeu !
Des beaux esprits, écoliers, gens d’église,
C’est le refrain ; avec eux, en tout lieu,
Faisant Chorus, d’une voix de chanoine,
Je vais chanter : pour amortir le feu
Qui, sous le froc, consume plus d’un moine,
De cinq contre un, vive l’aimable jeu !

Ce doux ébat nous vient aussi d’un Dieu,
Dieu bienfaisant, et père de l’adresse,
Subtil matois qui préside au larcin,
Qui n’eut jamais femme, enfant, ni maîtresse ;
Et qui partant n’eut jamais de chagrin.
À ces traits seuls on reconnaît Mercure.
Or, pour complaire à son père Jupin,
Ce Dieu jadis, courtois de sa nature,
Ainsi qu’on sait, l’escortait en ces lieux,
Quand pour la terre, il descendait des Cieux.
Et que lassé des beautés immortelles,
Il s’amusait à caresser nos belles.

Un certain jour venant incognito,
Entretenir sa nymphe Calisto,
Le roi des Cieux, de peur que son épouse
Ne le surprit dans sa fureur jalouse,
Avait prié le beau fils de Maïa
D’être aux aguets. Ce Dieu qui s’ennuya,

Tant que Jupin exploitait sa conquête,
Pour n’être oisif, à ce jeu s’amusa,
Et goûtant fort ce passe-temps honnête,
Jusqu’à vingt fois se manuélisa.
Dix coups mettraient un mortel à quia :
Mais pour un Dieu la taxe est raisonnable.
Bientôt Mercure à son frère Apollon,
De ce bel art donna mainte leçon.
Phébus trouva la manière agréable,
Et bien souvent abandonna son luth
Pour y vaquer, tant ce tracas lui plut :
Puis voulut bien, comme un Dieu charitable,
Le révéler au poète indigent,
Afin qu’il pût le faire sans argent.

Depuis le jour qu’il daigna m’en instruire,
Il n’est objet dans l’amoureux empire
Que mon esprit, à mes vœux, complaisant,
N’ait la vertu de me rendre présent.
Pas ne connais maquereau plus habile,
Valet plus prompt à servir mes désirs.
Ce que la cour, la province et la ville
Ont de beautés, prévenant mes soupirs,
En un moment se présente à ma vue.
Par son moyen, comme un autre Paris,
À la plus belle alors j’offre le prix,
Et je ne faux de faire la revue
Tous les matins, de plus d’une recrue
Qui, chaque jour, va se rendre au bercail
De Cupidon. Là, je vois toute nue
La plus modeste, et qui n’a d’attirail
Que la chemise, et qui bien s’évertue

À mettre à l’air fesse ronde et charnue ;
Tétons de lys, et lèvres de corail,
Toison d’ébène, étroit et beau portail
Du gentil temple où Priape en cachette
Fête Vénus. . . . . . . .
. . . . . . . . En Sultan je me traite.
Et de mon lit je me fais un sérail ;
Si qu’à l’envi, jeune, prude et coquette,
Et blonde et brune, et marquise et soubrette
Me font la cour ; et pour comble de bien,
Je suis heureux sans qu’il m’en coûte rien.

J’ai le plaisir sans ressentir la peine ;
Et quand je veux, je courtise une reine ;
Tout à la fois j’en puis bricoler cent,
Faire passer tout le monde femelle
Par l’étamine, en ce déduit plaisant,
Grâce à mes doigts, fléchir la plus rebelle ;
Et de ce jeu le plaisir est si grand,
Que sans effort exploite une pucelle,
Et qu’à mon gré fourbissant la Duclos.
Entre ses bras je brave la vérole,
Et tous les dons que nonnes de Paphos
Font volontiers à la jeunesse folle,
Qui leur couvent hante mal à propos.

. . . . . . . . . . . . . . . .

Un autre peut fréquenter cette école ;

Mais quant à moi, je donne ma parole
Que, tant que Dieu me donnera des mains,
Je ne verrai matrones ni catins !