Poésies badines et facétieuses/Introduction

INTRODUCTION




Dans l’histoire poético-érotique du dix-huitième siècle, il est un nom qui évoque on ne sait quelle image de volupté païenne, de coupes fumantes et renversées ; un nom dont le cortège obligé et traditionnel est un essaim de Nymphes demi-nues, donnant la main à de gros Silènes pansus et égrillards ; un nom, à la seule audition duquel les ardents Satyres s’animent, le divin Priape sourit, et ses voluptueux adorateurs s’épanouissent d’aise et de plaisir ; un nom, enfin, que notre siècle, aussi ridiculement hypocrite que profondément corrompu, ne prononce qu’avec réserve, hésitation, ou avec un malin sourire.

Ce nom est celui d’un joyeux sybarite, qui a brûlé tant d’encens grivois sur l’autel des neuf vieilles Pucelles, et qui, ayant à peine vingt ans d’âge, improvisa, par suite d’un défi, cette pétillante débauche d’esprit et de table, célèbre priapée, dont il nous a raconté lui-même la naissance :

« Il ne mit à l’hymne folle,
Jeunesse et vin de concert,
Que le temps de la parole
Et que celui du dessert. »

Ce nom, chacun l’a deviné, est celui d’Alexis Piron.

Personnification la plus haute et la plus sincère de la gaieté gauloise, doué d’une imagination incandescente, d’une organisation passionnée, contemporain de la Régence et du règne de Louis XV — cette immense orgie, terminée par un coup de tonnerre — Piron en a pris un reflet chaud et coloré, et a reproduit dans ses poésies, avec autant de bonheur que d’originalité, la franchise un peu brutale et la bonhomie un peu malicieuse de nos pères.

Enfant gâté de la nature, joignant à une imagination riante et féconde, une intelligence vive et prime-sautière ; poëte abondant, énergique, étincelant de verve et d’audace, le caustique Piron, comme La Fontaine, Voltaire et J.-B. Rousseau, a sacrifié aux Dieux impurs, par des Contes et des Épigrammes, qui ne le cèdent guère, pour la crudité du ton, la hardiesse érotique, le badinage licencieux et mordant, à leur sœur aînée : l’Ode à Priape.

Rien — dira-t-on, n’établit l’authenticité du Recueil qui a été publié après sa mort et souvent réimprimé sous le titre de Poésies badines d’Alexis Piron ; on peut admettre que quelques-unes de ces spirituelles compositions ne soient véritablement pas de lui, mais peut-on oublier, que Piron a écrit et vécu pendant la période la plus dissolue de son siècle ; lorsqu’il était de mode et même du bel air d’afficher l’esprit de libertinage ? On ne peut donc faire moins que les devanciers, en éditant ici, toutes les pièces lestes et facétieuses publiées sous son nom, et qu’il n’a jamais désavouées, en vrai Bourguignon salé qu’il était.

On a joint à la fin de ce Recueil, quelques compositions du même genre, joyeusetés ou irrévérences littéraires, qu’à tort ou à raison, on lui a toujours attribuées, et qui sont dignes, en effet, de la verve enivrante, de la gaieté intarissable, de la fougue entraînante de l’immortel auteur, dont le fameux Grim disait : « C’est une machine à saillies, à épigrammes et à traits. »

Alexis Piron, né à Dijon (Bourgogne) en 1687, est mort à Paris en 1773.