Poésies badines et facétieuses/Alcibiade à Glycère

ALCIBIADE À GLYCÈRE.


Toi, dont le teint est plus frais que les fleurs,
Toi, que l’amour nomme sa bouquetière ;
Qui, près du temple embelli par sa mère,
Vends tes bouquets et vole tous les cœurs,
Console-moi, mon aimable Glycère.
Loin du bosquet où tu comblais mes vœux.
Où le plaisir te fit ma souveraine,
J’habite, hélas ! des palais fastueux ;
Je suis l’amant d’une superbe reine.
Glycère, hélas ! je suis bien malheureux !
Ah ! que le trône, ah ! que son étalage
Nuit aux désirs, effarouche l’amour !
Sur les carreaux je m’endors à la cour,
Comme avec toi je veillais au village.
L’ombre d’un hêtre, un asile écarté,
Une bergère au printemps de son âge,
Pour un amant, ainsi que pour un sage,
Sont plus qu’un trône et qu’une Majesté.
Vénus jamais ne porte un diadème,
Comme le tien, son front est ceint de fleurs ;
La beauté seule est son pouvoir suprême,
Et ses palais, des berceaux enchanteurs.
Quand sous leur voûte, Adonis en silence,
Était conduit par la main du désir,
Vénus, alors, oubliant sa puissance,
Était mortelle en faveur du plaisir.
Venus souvent, descendait sur la terre,
Son fils, lui seul, était son confident.

Pour son amant, Vénus était bergère,
Ne pouvant faire un dieu de son amant.

Mais le moyen (pardonnez, grande reine)
D’être amoureux avec tant d’apparat !
L’amour heureux que révolte une chaîne,
S’il est trop vu, n’est jamais délicat ;
Qu’auprès de vous, retenu par lui-même,
Libre toujours, il soit toujours constant !
On a chez vous une charge d’amant ;
Ah ! comment donc voulez-vous qu’on vous aime ?
N’ayez donc plus de premier écuyer,
Qui, chaque soir, vienne me réveiller,
En me disant d’une voix hautaine :
« Allons, seigneur, c’est assez sommeiller !
« Allons, seigneur, venez… aimer la reine. »
Tenez, madame, afin d’en mieux jouir,
Ne réglez plus les instants du plaisir.
L’occasion, le caprice est son guide ;
Comme l’amour, il aime à voltiger.
Que le hasard toujours, lui seul décide
Le vrai moment et l’heure du berger ;
Que sans éclat, sans importune escorte,
En tâtonnant, surtout sans écuyer,
J’entre pieds nus, par un autre escalier,
Dont vous m’aurez vous-même ouvert la porte.
Que souvent même, et sans aide et sans bruit,
Prenant alors, dans l’ombre de la nuit,
Un pet-en-l’air pour tunique royale,
Sa Majesté, se faisant mon égale,
Vienne trouver son amant dans son lit ;
Respectant moins, j’aimerai davantage ;

Pour vos attraits, oublierai tous vos droits :
Et vous verrez, reine, que quelquefois
Un froid respect vaut bien moins qu’un outrage.
Mais pour l’amour, ouvrir les deux battants,
Le promener, suivi d’une brigade,
Sous les lambris de vingt appartements ;
Le recevoir sur un lit de parade,
Beau lit d’honneur, fastueux ornement ;
Superbe dais, magnifique retraite.
Où l’on s’endort, où l’on donne en bâillant,
À sa Grandeur un baiser d’étiquette…
C’est un enfant que le dieu de Paphos ;
Il veut voler sans esclave et sans maître ;
Il veut souvent entrer par la fenêtre ;
Quelquefois même, il y veut des barreaux
Le bruit l’effraye et le fait disparaître ;
L’obstacle seul irrite ses désirs ;
Pour le détruire, il sait le faire naître :
S’il est tranquille, il n’a plus de plaisirs…

C’est chez toi seule, ô ma belle Glycère,
Que cet enfant prodigue mon bonheur ;
Tu sais tromper, mais aussi tu sais plaire.
Il faut tromper dans l’amoureux mystère,
Puisque l’amour est lui-même un trompeur.
Que tu lui dois, friponne, de guirlandes,
Pour tous les biens dont il sut te parer !
Et ce n’est pas toujours par les offrandes
De tes bouquets que tu dois l’honorer ;
Il te doua, pour soutenir sa gloire,
De deux grands yeux, tant soit peu libertins ;
Il t’eût fait tort de plus d’une victoire,

S’il t’en avait donné de moins coquins.
Il te fit belle, et qui plus est, jolie ;
Il prit plaisir à former les contours
De ce beau sein que tu caches toujours,
Pour qu’à le voir toujours on s’étudie.
N’oubliant rien, il t’apprit à rougir,
Même à pleurer : il unit dans Glycère.
Pour tout charmer, pour tout assujettir,
L’air de Laïs aux traits d’une bergère ;
Glycère a tout, pour donner du plaisir…
Le souvenir de tes seules caresses
Fait plus sur moi que la réalité
Des grands baisers, des royales tendresses,
Dont m’ennuiera dans peu, Sa Majesté.
Hélas ! ici la pourpre m’environne,
Je suis chargé de dorure et d’ennuis ;
De beaux œillets par toi-même cueillis
Formaient chez toi, mon dais et ma couronne ;
Nous n’avions point de superbes habits ;
Le goût faisait notre magnificence ;
Mais nous avions, Glycère, en récompense,
De bien beaux jours et de plus belles nuits !
L’amour jamais n’exigea de parure :
Jamais l’amour ne consulte un miroir ;
Ses blonds cheveux flottent a l’aventure ;
L’or n’est point fait pour orner un boudoir.

Je n’aime point ce superbe étalage ;
Tous ces réseaux, ennemis du désir,
Toujours armés, contre la main volage
Qui veut errer dans le champ du plaisir ;
La volupté s’en indigne et murmure.

Chez toi, Glycère, on craint peu ce destin ;
On n’y reçoit jamais d’égratignure
Que de la rose éparse dans ton sein…
Mais que l’on doit chérir cette piqûre,
Lorsque ta bouche, au sourire enfantin.
Vient elle-même essuyer la blessure !
Ces longs repas, que l’on nomme festins.
Où, près de nous, l’ennui se met à table,
Valent-ils donc ces soupers clandestins,
Où le plaisir sait toujours rendre aimable ?
Ou la douceur de tromper un jaloux,
Un vieux Midas, ajoute à notre joie ?
Où, sans projet le rire se déploie ?
Où, sans juger les sages ni les fous,
Nous oublions tout l’univers pour nous ?
Où l’appétit qui naît du plaisir même,
De tous les plats se fait le cuisinier ?
Où libertin et gourmand par système,
L’on mange bien et l’on s’aime de même ?
Où l’on est deux, sans craindre de bâiller ?

Ah ! que me font, toutes ces Cassolettes,
Tous ces parfums, tous ces vases brillants,
Ces dais couverts de cent mille paillettes,
Où l’on respire un insipide encens ?
J’aime bien mieux cette simple corbeille,
Où, le matin, quand le timide oiseau
Vient t’annoncer que l’aurore s’éveille,
Ta main confond le lys et le barbeau ;
Ce beau panier que la rose couronne ;
Qui, dans tes mains, de l’amour est le trône
Et qui, jadis, lui servit de berceau…

Mais dis-moi donc, que servent à la reine
Tous ces trumeaux qu’elle a fait disposer
Près d’un sofa qui donne la migraine ?
Je te promets qu’elle eût pu s’en passer.
Est-ce, dis-moi, redoutant le murmure
Et l’œil perçant de la malignité,
Pour rétablir l’ordre de sa parure ?
De quoi s’occupe, hélas ! Sa Majesté ?
Je sais prévoir cette triste aventure ;
Presque jamais son rouge n’est ôté.
Rappelle-toi, ma Glycère, cette onde,
Où réparant les larcins du plaisir,
Tu rattachais ta tresse vagabonde
Que détachait aussitôt le désir.

Te souvient-il de ce jour, ma Glycère ?
(Ce jour était la fête de l’Amour.)
Pour le fêter, abandonnant la cour,
Nous fûmes seuls vers ce bois solitaire
Que tu sais bien, qu’à la cour je préfère.
Ah ! le beau jour, comme j’étais heureux !
Tout me semblait d’un fortuné présage :
Si je levais mes regards vers les cieux,
Je découvrais un azur sans nuage ;
Dans les forêts, les oiseaux chantaient mieux ;
Bien plus matin, la complaisante aurore
Me paraissait, en faveur des amours,
Verser des pleurs sur les parfums de Flore,
Et pour nous deux, avoir changé son cours.
Du frais zéphir, l’haleine était plus pure :
Un air plus doux rajeunissait les champs ;
Tout renaissait : l’aspect de deux amants

Avait sans doute embelli la nature.
Ivre d’amour, le désir dans les yeux,
J’entre avec toi, dans cette grotte sombre
Que vingt palmiers défendent par leur ombre
Des feux du jour, comme des envieux :
Dans tous les temps, un lit de fleurs nouvelles
Y tend un piège à la faible beauté ;
L’amour jura que « jamais de cruelles,
« Aucun mari, pas une majesté,
— Ces froids tyrans des plaisirs et des belles, —
« N’habiteraient ce séjour enchanté. »
C’est là, Glycère, ô ma belle maîtresse !
Qu’enfin j’obtins cet amoureux baiser,
Qu’apparemment, pour doubler mon ivresse,
Pendant deux jours tu sus me refuser…
Connais-tu bien la grande différence,
Qu’entre Glycère et nos femmes de cour,
Pour décider toujours la préférence,
En ta faveur — a su mettre l’amour ?
Tiens, la voici : toujours vive et coquette,
Tu vas, donnant des baisers, des faveurs ;
Nous t’adorons, nous nous croyons vainqueurs ;
Mais un caprice… et soudain la retraite
Est notre lot : tu te ris de nos pleurs,
Un doux regard précède tes rigueurs ;
Et leurs rigueurs annoncent leur défaite.
Mais le caprice, en te parlant pour moi,
Fit mon bonheur : puis-je dire le nôtre ?
Tu me savais plus scélérat qu’un autre ;
Ce titre est bien quelque chose pour toi.
Je fus heureux : jetais digne de l’être ;
Je t’adorais, je l’aimais, je brûlais :

Sur ton beau sein je mourais pour renaître ;
Et pour mourir, toujours je renaissais.
Bien différente en ceci d’une reine.
Qui veut toujours qu’on fasse tous les frais,
Pour le plaisir tu partageais la peine,
Et par la peine au plaisir tu gagnais.
Dieux ! quel moment ! je vois ta belle bouche,
Belle toujours, surtout quand on y touche :
Je vois tes yeux embellis par ces pleurs,
Que le plaisir, tu le sais, fait répandre ;
Nuages doux, amoureuses vapeurs,
Dans tes beaux yeux, mêlés d’un feu si tendre !
J’entends encor ces soupirs enchanteurs,
Et ces baisers que mes lèvres errantes,
venaient chercher sur tes lèvres brûlantes,
Où le plaisir confondait nos deux cœurs !
Ces demi-mots du désir qui s’éveille ;
Ces sons touchants soudain interrompus.
Plus éloquents, pour être suspendus,
Viennent toujours caresser mon oreille !…
Je viens de rire, et je vais m’ennuyer.
Ah ! c’en est fait, la force m’abandonne !…
J’entends déjà le maudit écuyer………
Adieu, Glycère : adieu ; je vais bailler
Bien tendrement sur les degrés du trône.
Vole par jour vingt mille libertés ;
Fais-moi par jour vingt infidélités,
Cent, si tu peux ; va, je te le pardonne :
Dupe les vieux et ruine les sots.
Conserve bien ta trop friponne mine,
Puis, garde-toi de perdre tes défauts ;
Sois toujours belle et toujours bien coquine !…