Poésies attribués à Charles d’Orléans/Ballade I


BALLADE.

     Je meurs de soif emprès de la fontaine ;
Suffisance ay, et si suis convoiteux ;
Une heure m’est plus d’une quarantaine ;
Droit et parfait, je chemine boiteux ;

Trespacient, plus que nul despiteux ;
Je retiens tout, et ce que j’ai, depars ;
À moy cruel et aux autres piteux,
Le neutre suis, et si tiens les deulx pars.
     En doubte suis de chose trescertaine ;
Infortuné, je me repute eureux ;
Vraye conclus une chose incertaine ;
Rien je ny fois, et suis adventureux ;
Flebe me tiens, quant me sens vigoreux ;
Plain de moisteur, tout tremblant au feu ars ;
Doulx et begnin, de semblant rigoreux,
Le neutre suis, et si tiens les deux pars.
     Quant dueil me prent, grant joye me demaine ;
Par grant plaisir, je deviens langoreux ;
Indigent suis, possident grant demaine ;
Qui n’a nul goust, je le tiens savoreux ;
Qui m’est amer, de lui suis amoureux ;
Ignorant suis, et si sçay les Sept Ars ;
En grant seurté, fort craintif et paoureux,
Le neutre suis, et si tiens les deux pars.


ENVOI.

     Qui me loue, il m’est injurieux ;
Je ne bouge, quant d’un lieu je me pars ;
Par bien ouvrer, en vain laborieux,
Le neutre suis, et si tiens les deux pars.