Poésies - Titus aux enfers

Louis Pize
Poésies - Titus aux enfers
Revue des Deux Mondes7e période, tome 7 (p. 417-421).
POÉSIES

TITUS AUX ENFERS


I


Pâle clarté des morts, ô saison monotone,
Je regrette toujours, sous vos ifs toujours verts,
La canicule ardente et le gel des hivers.
Sur la rive où languit l’éternelle anémone,
Par pitié, qu’un rayon du soleil des vivants
Se glisse ! Eveillez-vous, ô murmure des vents ;
Enveloppez mon front, que je respire encore
Le frisson du feuillage, et cette acre senteur
Qui des vignes du soir s’exhale avec lenteur.
Et le parfum mouillé des roses dans l’aurore !
Depuis que je les vis pour la dernière fois.
Comme ils ont dû pousser, les arbustes des bois !
Tous ces lieux tant aimés, ah ! les reconnaîtrai-je ?
Titus n’est plus qu’une ombre au souterrain séjour,
Et, changeant de couleurs, de plaisirs tour à tour.
Les mois à travers champs déroulent leur cortège…
Cette heure ténébreuse est trop longue… J’attends
Qu’une rumeur d’eau vive annonce le printemps.
Dites, vous qui restez aux jardins de la terre.
L’alouette au soleil lance-t-elle son cri,
Et l’amandier précoce a-t-il déjà fleuri ?
Ma cendre, qui dormait dans cette urne de pierre.
Tressaille, et sent peser plus lourdement la nuit.
Compagnons de Titus, souvenez-vous de lui !

Qu’à l’ombre des rameaux dont sa tombe est ornée,
Votre voix familière enchante son exil !
Dites-lui la douceur le ce nouvel avril,
Et comme l’aubépine est blanche cette année !

II


Vous me suivez partout, printemps insidieux.
Et vos charmes toujours irritent mon supplice ?
Vos jardins, votre ciel revivent dans mes yeux.
Sous les arbres en fleurs je revois Bérénice.
Mais ce n’est pas en vain que le dieu de l’amour,
Printemps, fougueux printemps, inéluctable ivresse,
Pour ses jeux déchirants choisit votre retour.
Sur les bords qu’une mer étrangère caresse.
Ma tendre Bérénice, apaise enfin tes pleurs !
Comme tu l’avais dit, ta vengeance m’accable.
Vois : tu peux triompher au sein de tes douleurs.
Trop rapides instants ! Ah ! que je fus coupable
D’éloigner, pour l’empire et le lustre romain.
Tandis que près de moi tu respirais encore.
L’amour qui ne reviendra plus sur mon chemin.
L’Achéron n’éteint pas le feu qui me dévore.
Peut-être mes soupirs arrivent jusqu’à toi.
Douce et mélancolique, et toujours aussi belle,
Tu sens, en m’écoutant, renaître ton émoi.
Quel penser t’accompagne en cette heure nouvelle ?
Vois-tu nos jours anciens briller sur l’horizon ?
A mes tristes regards offre encor ton visage.
Montre-moi ton pays, tes dieux et ta maison.
Que, pour mieux t’évoquer, j’en retienne l’image.
Et que je te possède et ne te quitte plus,
Et, si déjà la Parque a tranché ma jeunesse.
Les jours longs et fervents que je n’ai pas vécus,
Permets que dans un rêve au moins je les connaisse !

III


Sous d’étranges rayons l’eau morte a palpité.
Quelles nouvelles fleurs dans ces lieux vont éclore ?

La nuit enfin décline, il semble qu’une aurore
Éveille des enfers l’indécise clarté.

Surgissant de la brume où le matin commence,
Une ombre, depuis peu captive sur ces bords,
Hésite à s’engager dans le chemin des morts.
Elle veut me rejoindre et lentement s’avance.

Hélas ! pourquoi des pleurs me cachent-ils ses yeux ?
Pourquoi tant de beauté n’est-elle plus que cendre ?
A-t-on vu quelquefois dans l’Erèbe descendre
Tant de grâce et d’amour et de tristesse…

O dieux !

Mon cœur bat et s’élance, à peine je respire.
Et c’est la même attente et les mêmes émois
Qu’au jour où je te vis pour la première fois.
Et le faible Titus invoque ton sourire.

Ne te détourne pas ! j’embrasse tes genoux…
Ecoute un seul instant ma plainte, ô Bérénice !
Que par mon repentir ta peine s’adoucisse,
Et que la paix des morts se répande sur nous !

— Je désirais en vain la nuit la plus obscure…
Le mal que tu me fis ne m’abandonne pas,
Amour, amour cruel qui survis au trépas !
Triomphe, viens rouvrir ma récente blessure !

— Si nous avons souffert, les dieux l’ont exigé.
Je fus coupable aussi… Mais sache, par clémence,
Oublier le départ, et les maux de l’absence,
Et le ressentiment de l’amour outragé !

— Il ne suffisait pas qu’au rivage d’Ostie,
J’eusse laissé Titus… Quand j’eus franchi les mers,
Que les jours furent longs, qu’ils me furent amers !
— J’ai caché dans ma gloire une lente agonie…


— Je doutais du destin, j’attendis ton retour.
Mais bientôt, renonçant aux folles espérances,
Une triste langueur éteignit mes souffrances...
Je vous cherche, ô mes sœurs qui mourûtes d’amour !

— Loin de toi, je t’aimais chaque jour davantage.
Dans la nuit sans pardon, j’emportai mon remords.
Faut-il qu’abandonné des vivants et des morts,
Le silence et l’exil demeurent mon partage ?

En franchissant le seuil qu’on ne passera plus,
L’empereur a quitté la pourpre et la couronne.
Me voici pauvre et nu, le vide m’environne.
Titus n’est plus qu’une ombre, aime encore Titus !

— Si je te suis fidèle, ô Titus, si je t’aime !
Ah ! je bénis la Parque, et les dieux sont témoins
Qu’au faite des honneurs je te chérissais moins
Qu’en ces lieux où mon cœur ne trouve que toi-même.

— Le printemps va renaître, et j’espère, et je vis !
Pour nous refleuriront le myrte et l’asphodèle.
Aimons-nous et goûtons, dans la joie éternelle.
Aux seuls biens que la mort ne nous a point ravis.

— J’ai gardé ma jeunesse, à travers l’amertume,
Impatiente et prompte, ainsi qu’au premier jour
Où j’éprouvais par toi les tourments de l’amour.
Même un feu plus secret l’exalte et la consume !

— Couvre-moi de rayons, sombre étoile des nuits !
Bérénice, tends-moi tes cheveux et tes lèvres !
Penche, penche vers moi, pour apaiser mes fièvres,
Tes longs regards plus frais que l’eau noire des puits,

Et repose en mes bras ta chair ardente et lasse !...
Mais quoi !... Lorsque Vénus exauce mon désir,
Tu n’es plus, sous la main qui cherche à te saisir.
Qu’un peu d’ombre, et déjà ton visage s’efface !





Comme un quartier de lune à travers la forêt,
Tour à tour Bérénice échappe et reparaît.
Mais en vain son amant s’efforce de l’atteindre :
Elle s’évanouit quand Titus va l’étreindre,
Et, pleurant de désir, l’attend un peu plus loin,
Et s’efface à nouveau quand Titus la rejoint.
Ainsi, le front courbé sous les lois de la terre,
Chacun de vous vécut et mourut solitaire.
Et le même destin qui vous a déchirés
Vous tient l’un près de l’autre, et pourtant séparés.
De la fourbe Vénus le suprême artifice
A fait de votre espoir un mutuel supplice.
Poursuivez-vous, appelez-vous, pauvres amants !
La nuit seule répond à vos embrassements.
Mais que le champ des pleurs vous ouvre ses allées !
Votre fuite s’achève, ombres inconsolées.
Parmi ceux que Vénus a privés de repos.
D’un impossible amour échangez les sanglots,
Et que le myrte obscur à jamais réunisse
Dans la même douleur Titus et Bérénice !


LOUIS PIZE.