Poésies - Le Poème des Jardins

Poésies - Le Poème des Jardins
Revue des Deux Mondes6e période, tome 40 (p. 858-865).
POÉSIES

LE POÈME DES JARDINS


Je vous aime à jamais, ô parcs d’Ile-de-France !
Dans mes heures d’exil je sens quelle souffrance
Peut endurer un cœur soudain privé de vous
Et ce qui manque en lui de puissant et de doux...

Les premiers à ma vue en vos robes royales,
Jardins à la Française aux lignes si loyales,
Soumis à ce bel ordre, artisan de grandeur,
Vous éveillez en moi le respect et l’ardeur.

D’autant qu’aux jours d’été vous m’êtes plus présente.
Terrasse de Saint-Cloud, ma douloureuse absente,
Mes yeux sont attendris et se voilent de pleurs,
Beaux arbres, graves eaux, et parterres en fleurs !

Vous portez des rayons encore à votre face,
Marly, dans votre val où votre âme s’efface,
vous qui désormais dans le soir le plus beau
Majestueusement descendez au tombeau !

Je revois vos gazons, vos vertes perspectives,
Et la terrasse haute aux rampes attentives,
O mon beau Chantilly, d’où s’offrent les dessins
Unis et mesurés de vos calmes bassins.


Et vous, Fontainebleau, dont l’âme est si diverse,
Je sens votre parterre en moi-même qui verse
La lente majesté de son siècle écoulé,
Au cœur des bois vieillis ô bouquet déroulé !




Si vos buis composés ou vos eaux transparentes
Offrent à l’infini des beautés différentes,
Pourtant d’un même cœur héroïque et puissant
Dans un rythme pareil s’élance un même sang !
Charmilles, palpitez ! Fleurissez, ô balustres !
Dans ces parfaits séjours, secrets autant qu’illustres,
Que la rose au parterre élève son baiser
Et qu’aux terrasses monte un nuage embrasé !
Blancs aux feuillages verts, dans ces lieux d’épopée.
Sous les arbres levant le sceptre ou bien l’épée
Malgré tant de saisons qui se font leur bourreaux,
Que survivent les dieux où naissaient les héros !




Miroir du parc d’OGNON, avec quelle tendresse
J’aime à rêver de vous... Nulle part ne se dresse
Aussi fidèlement, dans sa forme et sa voix,
L’image de jadis que j’entends et je vois.
Relique du Grand Siècle en ces bois oubliée,
Clairière d’eau splendide à la forêt liée,
Si tout parle à mes yeux tout est silencieux
Et sur le cœur de l’eau s’abandonnent les cieux !
Vieux arbres vert-feuillus de la racine au faîte,
Vases purs, dieux altiers, « Gloriette » de fête,
Tels surpris au filet de superbes oiseaux.
Vous êtes des captifs que retiennent les eaux...
Décor indéfloré de sa fête galante,
Sur le degré tranquille ou bien sur l’onde lente
C’est là que dans son rêve eût regardé Watteau
S’avancer le cortège et voguer le bateau...
Et là même, aujourd’hui, La Touche au clair génie
N’eût pas manqué d’offrir, dans toute l’ironie
D’un pinceau lumineux, d’un esprit inlassé,
Un hommage imprévu du Présent au Passé !

Bercé, dans un beau soir, de la phrase très tendre
De Lulli, de Rameau, j’espérerais entendre
Aussi, dans l’autre instant, y flotter à fleur d’eau
Un chant de Debussy, Ducasse ou Reynaldo…
Jardins qui reposez, solitaire merveille.
Que de l’Enchantement jamais ne vous éveille
De ses doigts amoureux quelque Prince Charmant,
Vous de tous les jardins la Belle-au-bois-dormant !




Las de tant de grandeur et de tant de noblesse,
Rejetant le compas et le ciseau qui blesse,
Le dix-huitième siècle, aimant à transformer,
Fatigué d’éblouir, résolut de charmer.

Dès lors vous êtes nés, et votre fantaisie,
O Jardins à l’anglaise, est la courbe choisie
Où s’enroule l’allée au temple comme au banc
Aussi bien que se noue au boudoir un ruban !

Vous fîtes BAGATELLE et son Rocher où tinte
L’eau qui tombe à l’étang que paisiblement teinte
Chaque changeant feuillage ou chaque floraison
Dans l’accord nuancé que pose la saison.

Sur un brocart ancien fraîche fleur épinglée,
Votre Hameau pimpant, sa Rivière réglée.
Aux dessins d’autrefois sachant se réunir.
Superbe CHANTILLY, viennent vous rajeunir !

Dominant votre Lac, le bois se glorifie
Du monument offert à la Philosophie,
ERMENONVILLE, ô vous à qui vint se lier
La gloire d’un Tombeau que ceint le peuplier...

Puis encor, beaux jardins, vous offrez à la vue
Votre Rocher, NEUILLY, votre Tour, BELLEVUE,
Et votre Naumachie où seul et doux vaisseau
Vogue la feuille d’or de l’automne, ô MONCEAU !


O désordre savant, beauté capricieuse,
Œuvre d’art si fragile, et par là précieuse,
Où chaque arbre qui meurt altère le tableau,
Découronnant le temple et dépossédant l’eau !

Dans ces jardins d’amour tout est grâce et caresse,
Mais la femme en ces temps n’est-elle pas maîtresse ?
Or voici son miroir où se peint le reflet
Des caprices sans nombre où sa beauté se plaît.




Dès l’horizon de rêve aux ormes contenue,
O VERSAILLE immortel, c’est dans votre avenue
Qu’autrefois s’avançait, à vos fastes promis,
Plus d’un ambassadeur par avance soumis.

Et voici, solennel, et la grille franchie,
Le palais de la Gloire et de la Monarchie,
Etincelant jadis, aujourd’hui déserté.
Temple de Souvenir, asile de Beauté.

Versailles... aussitôt l’image éblouissante
Des miroirs endormis ou de l’eau jaillissante
Apparaît à nos yeux, royaume où tant de fleurs
Aux buis enveloppans proclament leurs couleurs.

Divinité de l’art, debout sur la terrasse.
Vous réglez l’infini que votre vue embrasse :
Tout à l’entour de vous, fuyant aux horizons.
Vos perspectives sont comme autant de rayons !

Escaliers de Titans, « Cent Marches » fabuleuses,
Vous montez lentement aux cimes merveilleuses.
Au château qui s’avance à son miroir tremblant
Fleuri de bronze noir, bordé de marbre blanc.

Le sommeil des gazons et la lueur des marbres
S’enchâssent aux accueils de l’allée et des arbres,
Tandis que noblement de leur rythme ont vibré
La statue à la rampe et le vase au degré.


Diadème au bosquet, voici la Colonnade,
Le règne de Neptune, et l’effort d’Encelade,
Le jet droit du Dragon, l’Allée aux larmes d’eau,
Les Saisons aux bassins qui posent leur fardeau...

Dressée au cœur serein du balustre impassible
Voici la vasque où monte, aux « Dômes, » l’eau flexible,
Les secrets de l’Etoile, et le Vertugadin,
Et l’ « Obélisque » au ciel, bouquet d’eau du jardin !

Magicienne, c’est la salle des Rocailles
Où nous hantent les bals des nuits d’or de Versailles.
— Le Bosquet de la Reine, écho d’un autre instant,
De ses refuges verts répond en s’attristant...

C’est, dans son clair silence au-dessus de l’eau verte,
La grotte d’Apollon et sa clairière ouverte,
Et le Jardin du Roi, ses suprêmes joyaux.
Délicate retraite à tant de jeux royaux.

Et tous ces noms fameux sont entrés dans l’Histoire ;
Ils chantent hautement comme un bruit de victoire ;
A leur appel divin qui trouble un cœur fervent
Que de fronts tout à coup s’inclinent en rêvant !...




Fastueux Grand-Canal, de vos lignes hautaines
Vous tracez fièrement vos conquêtes lointaines.
Chevalier qui portez, debout sur le gazon.
Pour manteau la forêt, pour cimier l’horizon !
Votre bras étendu dans un grave mystère
Dépose sur le cœur d’un jardin solitaire
La fleur de TRIANON qu’il vous a plu d’offrir.
Fraîche rose à vos doigts qui ne sait se flétrir...
O Trianon de marbre, et péristyle où s’arque,
Pour qu’attende la Cour et passe le Monarque,
Un cintre répété, frontispice hautain
Où déjà s’entrevoit le tranquille jardin...
Parterres et degrés, bassins calmes on sombre
Un vertige de ciel et de feuilles sans nombre,

Marronniers et tilleuls, royale frondaison
Etroitement unie au front de la maison ;
Beaux rêves retenus, perspectives secrètes
Qui craignez l’Infini dans vos closes retraites
Et ne voulez ici d’autre aboutissement
Qu’un « Buffet », qu’un « Miroir » ou qu’un bassin dormant,
Parc cérémonieux, familières allées.
Dessinés pour des jeux de nobles « assemblées »
Où savait se mêler la mesure à l’ardeur.
Vous offrez à nos yeux une intime splendeur.




Mais n’est-ce point assez de toutes ces magies
Pour éveiller en nous les chères nostalgies
D’un Passé qui sourit dans sa robe d’antan,
Ou qui porte à son front un soleil éclatant ?

Non ! voici que, paré d’une beauté sereine,
Fleur d’arrière-saison, le « Jardin de la Reine »
A Versaille est éclos, — car tel était le nom
Que l’on donna d’abord au PETIT-TRIANON.

Rochers élyséens et sentier idyllique,
Faces de diamant, sur l’eau mélancolique,
Du Belvédère blanc que porte le gazon.
Où tour à tour s’inscrit le dieu de la saison ;

Epanouissement harmonieux du Temple
Où l’Amour à jamais de son île contemple.
Sous le dôme parfait aux colonnes posé.
Son rêve ou son royaume enfin réalisé !

Hameau qui vient pencher dans la paix bocagère
Sur le Lac endormi son image légère
Et que préside, ainsi qu’un frivole seigneur,
La Maison de la Reine et sa façade en fleur ;

Moulin fragile qui du temps des Bergeries
Semble garder le fard ; changeantes broderies
Du printemps verdissant et de l’automne roux
Dont se voile à demi la Tour de Marlborough ;


Sur les pavés moussus, au cœur de la prairie,
Silence du portail et de la Métairie
Où plus d’une Beauté jadis en souriant
Contemplait vos retours, Bergers de Florian !




Clairs sentiers déroulés en lignes lumineuses
Sous les pas nonchalans des belles promeneuses,
Feuillages délivrés, et rameaux affranchis,
— Courtisans de l’azur sur les eaux réfléchis, —
Tièdes après-midis à l’ombre des Chaumières,
Nuits où le Temple en feu s’embrasait de lumières,
Vous fûtes autrefois les divertissemens
Qui surent enchanter ces fortunés momens.
Sous les cèdres profonds souvent s’est réunie
La plus spirituelle et vive compagnie.
En ces jours disparus où jetaient leurs éclairs
Les traits étincelans de Ligne et de Boufflers.
Après les jeux des champs, et de la Laiterie,
C’était l’heure du soir, sous un ciel de féerie,
Où le Comte d’Artois menait sur l’eau du Lac
Les grâces de Lamballe ou bien de Polignac.
A l’instant où le jour contre tant d’ombres lutte,
La basse et le hautbois, la viole, la flûte
Versaient sans se hâter dans le cœur attendri
L’élégie et les chants de Gluck et de Grétry...
Hélas ! c’est dans ces bois qu’une aurore sanglante
Surprend la Reine, et livre à la foule insolente
Sa grâce sans reproche et son cœur sans défaut,
Pour les porter soudain du trône à l’échafaud !




Soit qu’une discipline inflexible vous presse
Ou que s’offrent, changeans, vos détours à nos yeux,
Tous graves ou charmans, superbes ou joyeux,
Jardins ! je vous chéris d’une égale tendresse !

Mais vous, resplendissant et franc comme un soleil,
Vous êtes à jamais, plus qu’un autre, Versaille,
Pour mes yeux pleins d’amour et mon cœur qui tressaille,
La leçon lumineuse et le fervent conseil.


II n’est point de mensonge, il n’est point de mystère
Dans vos jardins où tout se lit avec clarté,
Où tout dérive et naît de la calme beauté
De votre perspective et de votre parterre.

Si vous dictez ici l’héroïsme vainqueur,
N’est-il pas désirable aussi que l’embellisse
Et lui réponde au loin la grâce ou le délice
Qu’un Trianon fait vivre au fond de notre cœur ?

Que Nolhac vous raconte, ou que Régnier vous chante,
Sur les pas du poète et de l’historien,
Ah ! combien notre cœur s’élance avec le sien
Lorsqu’un artiste pur nous berce ou nous enchante !

Car c’est la fleur glanée et le couronnement
D’une scène immortelle où les beautés sans leurre
De l’Art à son sommet, des Saisons et de l’Heure
Donnent ainsi leur rêve ou leur enseignement.

Lieux sacrés et forts où fleurit l’Espérance
Qui sait atténuer nos plus intimes deuils.
Vous êtes pour toujours l’objet de nos orgueils.
Car vous êtes un peu de ce qui fait la France !


ERNEST DE GANAY.