Poésies - L’Ame épanouie

Poésies - L’Ame épanouie
Revue des Deux Mondes6e période, tome 11 (p. 185-195).




POÉSIES



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L’AME ÉPANOUIE

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DÉCLIN

 
Quelque chose de moi s’en va, qui fut divin,
Qui fut de la lumière et qui fut de la joie,
Et qu’au printemps, alors que tout vibre et flamboie,
D’un nostalgique accent j’appelle encore en vain.

Quelque chose s’en va, qui fut de l’harmonie,
De la grâce et de la chimère et de l’espoir,
Assombrissant de plus en plus l’horizon noir
Où s’enfonce mon âme aux ténèbres bannie.

Quelque chose de moi chaque jour disparait,
Qui, naguère imprégné d’inoubliables baumes,
M’évoque amèrement la vie et ses fantômes,
Et que je ne vois pas s’éteindre sans regret.

Et pourtant je ne sais quelle image sereine
Persiste en mon destin fait de trop peu d’instans,
Ainsi que, sur la mer, le regard suit longtemps
Le sillage léger d’une molle carène.

J’IRAI

J’irai semant l’amour dans ma hâte exemplaire,
Et divine sera la moisson que j’attends,
La moisson que mûrit le rêve et que le temps
Transformera pour tous les pauvres en salaire.

Je me perdrai par les sentiers, par les chemins,
Où tant de malheureux succombent sous leur charge,
Et j’épandrai d’un geste idéalement large
La semence d’espoir que recueillent leurs mains.

Or, je ne garderai de ce qui m’environne,
Quand mon corps las sera par la marche affaibli,
Le soir venu, qu’un peu de silence et d’oubli,
Et Dieu m’en tressera peut-être une couronne.



L’INGÉNU TRÉPAS

C’est de toi que je tiens, ô mère, j’en suis sûr,
Mon poétique amour, digne de quelque fée ;
Toi qui, telle une perle au velours agrafée,
As fixé ma pensée aux choses de l’azur.

Je dois à ta candeur magique et souveraine
Ce don d’imaginer qui transfigure tout,
Et tu m’as su donner, dès l’enfance, le goût
Des contes qu’enjolive une bonne marraine.

Aussi, quand il faudra que je quitte à jamais
Cette vie, où la grâce est mêlée au mystère,
C’est de naïvetés que mon cœur solitaire
S’emplira pour mourir, ô mère que j’aimais.



RENOUVEAU

C’est une immense fête heureuse et nuptiale.
Le printemps semble ému de soupirs attendris,
Et, sur la jeune écorce où des noms sont inscrit,
La sève fait pleurer l’ancienne initiale.

Mais, je ne sais pourquoi j’assiste en étranger
A l’ample éclosion de tant d’ivresse vierge,
Ni pourquoi mon vieux cœur comme autrefois n’héberge
La divine douceur de croire et de songer.

Peut-être quelque chose en ce cœur que j’ignore
S’est-il fatalement brisé jusqu’au trépas ;
Ce quelque chose, hélas ! qui ne refleurit pas,
Et qui fit cependant ma chanson plus sonore.



DIEU

Une grande douceur tombe du soir d’été.
Il semble qu’absorbant toute l’extase en elle,
Cette heure doive enfin demeurer éternelle,
Et que le temps se soit pour jamais arrêté.

Or, moi-même si près du ciel que l’humble argile
Dont fut formé mon corps n’enferme plus l’esprit,
Je m’élance vers l’idéal qui me sourit.
Explorant l’horizon serein d’un vol agile.

Et je sens qu’au delà de ce que nous voyons,
Plus loin encor que les plus lointaines étoiles,
Irradie un foyer caché par tant de voiles
Qu’à peine l’homme en soupçonne-t-il les rayons !



OCTOBRE

Automne aux pas feutrés, automne, te voici
Dans la plainte des bois, dans leur rouille naissante ;
Mais ta venue est tendre assez pour que je sente
Ma souffrance embaumée en mon cœur adouci.

La noble gravité dont tu marques les choses
Gagne de proche en proche et sans hâte s’étend
De la mélancolie intime de l’étang
Au jardin merveilleux que tu métamorphoses.

Et, tandis que très loin pleurent de vagues cors,
Les suprêmes splendeurs qu’accumule ta gloire
Ont, dans l’ombre où je puis encore aimer et croire,
Avec mon âme en deuil de suaves accords.



DOUTE

L’aile d’une colombe au passage t’évente.
Un attendrissement léger plane sur nous.
Dans des nuages d’or et de pourpre dissous,
Le soleil semble peindre une fresque savante.

L’été décline et sans bruit nous sommes venus,
Avant qu’un si beau jour en pénombre s’achève,
Éterniser l’émoi de notre unique rêve
Et remplir de clartés nos regards ingénus.

Or, nous ne savons plus, par tant d’illustres flammes
Éblouis, aveuglés par notre amour si fort,
Si ces rayons, qu’attend l’inévitable mort,
S’abîment dans le vide ou sombrent dans nos âmes.



STANCES

Clair été, tu te meurs feuille à feuille, et l’automne
Sur un tapis doré pose déjà ses pas ;
Mais, dans mon cœur déçu, clair été, tu n’as pas
Laissé les souvenirs dont la douceur étonne.

O clair été, toujours propice aux amoureux,
Tu n’as pas déposé dans mon cœur las d’attendre
L’émotion suave et la caresse tendre
Qui charment un instant les destins douloureux.

C’est pourquoi ces vers purs, où le regret s’écrie,
Et qui savent souffrir et qui veulent prier,
S’enlaceront peut-être au stoïque laurier
Dont la racine amère est de larmes nourrie.


FIN D’AUTOMNE

J’ai, dès l’aurore, erré dans le parc dévasté,
Et, remplissant mes mains pâles des feuilles mortes
Dont un funeste vent balayait les cohortes,
J’ai gémi sur la gloire éteinte de l’été.

O jours d’or et d’ivresse où tout l’être s’exalte,
Jours dont me hante encor le vierge souvenir,
Que n’ai-je pu, divins instans, vous retenir
Et de l’ardent solstice éterniser la halte !

Mais je vois l’ombre croître où grandissait l’azur,
Et, n’ayant voulu boire à la source première
Que des flots jaillissans de limpide lumière,
Je pleure, face à face avec l’hiver obscur.



DOULEURS COMMUNES

Tout le jour, sous l’ardeur du soleil, immobile,
La forêt, s’éveillant aux souffles frais du soir,
Exhale un long soupir si triste qu’on croit voir
Un cœur gonflé d’amour et dont s’émeut l’argile.

Or, c’est un cœur peut-être, endormi très longtemps,
Que remue un désir ou qu’un regret oppresse,
Et qui, ne pouvant plus contenir sa tendresse,
La communique à l’ombre en murmures flottans.

C’est donc pourquoi, mon Dieu, l’âme d’angoisse étreinte,
Le front penché sur des abîmes d’infini
Et par mille liens à la nature uni,
J’écoute éperdument la fraternelle plainte.



COMME AUTREFOIS

Des cimes de cyprès dentellent l’horizon
Comparable aux plus fins paysages d’Ombrie,
Et dans la plaine au loin par places assombrie
Une humble cloche éteint sa limpide oraison.

 
Je prie et ma pensée est si légère et j’ose
Vous implorer, mon Dieu, d’un cœur si familier,
Qu’avec vous le pécheur va réconcilier
Sa vie à votre immense amour trop longtemps close.

Veuillez donc que, devant ce site où sont noyés
Mes yeux dans la douceur d’une enfantine extase,
Ma chancelante foi naïvement s’embrase
Et vous conçoive enfin, si grand que vous soyez.



LA VIE

J’ai tant aimé la vie, ô mon Dieu, que ma cendre,
Quand vous m’aurez exclu du monde des vivans,
Au plus léger soupir de la mer ou des vents
Frémira tout à coup d’un tressaillement tendre.

Vous le savez, mon Dieu, j’ai tant aimé les fleurs,
La verdure, les eaux, la clarté, l’harmonie,
Que mon ombre, parmi les fantômes bannie,
Regrettera jusqu’aux plus atroces douleurs.

Et, s’il est au repos définitif des trêves,
On me découvrira peut-être, quelque jour,
Les mains jointes encor pour implorer l’Amour,
Et les regards levés vers l’Étoile des rêves.



NOSTALGIES

<poem> Le rire ensoleillé des innombrables lames Laisse en nos yeux songeurs un éblouissement, Et notre cœur ému s’imprègne doucement De cette ample harmonie et de ces nobles flammes.

L’écume aux rocs se brise avec de longs sanglots Et des barques s’en vont et glissent, si légères Qu’elles semblent d’un rêve ailé les messagères, Vers le large vibrant de lumineux îlots. <poem>

Mais, demeurés debout sur la grève de sable,
Les regards fascinés par cet horizon clair,
Nous sentons mieux ce que l’amour, comme la mer,
A pour nous d’éternellement infranchissable.



SILLAGES

Sur la plage sans fin, nacrée et miroitante,
Où le flot roule encor les galets qu’il polit,
Entre deux sombres rocs je me suis fait un lit,
En face de l’immense horizon qui me tente.

Et, le cœur exalté d’illusoires départs,
Alors que, franchissant des millions de lieues,
Des navires sans nombre ouvrent les lames bleues,
Je regarde gisans tous mes rêves épars.

Car nul d’entre eux n’a pu terminer son voyage
Et conquérir un peu des espaces amers ;
Mais chacun, dont la proue a fendu tant de mers,
A laissé dans l’écume un douloureux sillage.



RAFALES

Le vent gronde du large en souffles lamentables,
Si tragiques et si farouches qu’on dirait
Les rauques beuglemens jaillis de mille étables,
Et dont vibre la mer sonore, sans arrêt.

Sur les rocs dénudés d’où l’océan qui fume
Semble une cuve ardente et saute et râle et bout,
Je marche enveloppé de rafales d’écume,
Et, malgré l’ouragan, je demeure debout…

Que n’ai-je en cette vie aux tempêtes sauvages
Affronté sans faiblir les rigueurs du destin,
Et promené du haut de stoïques rivages
L’impassibilité de mon regard hautain !

COIN DE TOURAINE

Nul, mieux que ce terroir aux nobles horizons,
Ne sent battre le cœur de notre vieille France,
Nul n’étant fait d’autant de joie et d’espérance,
Et d’autant de douceur en toutes les saisons.

Plus délicatement qu’ailleurs ton ciel s’azure,
Doré de chauds rayons portant l’ivresse en eux ;
Et ton illustre sol, et tes coteaux vineux
Gardent jusqu’en leur gloire une sobre mesure.

Car c’est non loin des frais vallons de ce pays,
Qu’inspirés à son souffle et le cœur épris d’elle,
Ronsard et du Bellay par la Muse fidèle,
Harmonieux amans, se virent obéis



POUR TOI

En t’aimant je savais qu’il me faudrait souffrir,
Que toute juvénile ardeur est inconstante,
Et je n’aurais pas dû naïvement t’offrir
Mon vieux cœur las d’errer, qu’un peu de calme tente.

Je savais en t’aimant, toi qui ne m’aimes pas,
Que ton regard si doux me deviendrait sévère,
Et que le moindre, hélas ! de mes funestes pas
Allongerait pour moi la route d’un calvaire.

Pourtant, je n’ai pas plus, sur ce chemin amer
Hésité, — le poète en rêves se consume, —
Que n’hésite la source à rejoindre la mer
Qui l’engloutit dans son tumulte et son écume.



ÉPITAPHE

Ici dort d’un sommeil divin comme sa vie,
voyageur, la vierge aux limpides regards
Qu’à sa mère une fin trop précoce a ravie.
Et dont flotte l’esprit dans les souffles épars.

S’il émane encor d’elle un vestige de grâce,
Goûte-le dans les fleurs dont son tertre est semé.
Aspires-en longtemps le chaste arôme, et passe
En évoquant tout bas un cœur naguère aimé.

Et, même dans la mort se sentant immortelle,
Peut-être, car l’amour né du rêve le suit,
Sa cendre au nuptial tombeau frémira-t-elle,
Heureuse qu’une étoile ait traversé la nuit.



LE CYPRES

L’obscur cyprès qu’au seuil du jardin a planté
Quelque ancêtre inconnu, dont l’image rustique
Est vénérée encore au foyer domestique,
Se découpe sur l’or du ciel ensanglanté.

C’est l’heure où cependant un rossignol suave,
Invisible dans l’épaisseur de l’arbre noir,
De son timbre splendide émerveille le soir,
Et chaque note ailée en mon âme se grave.

Or, la voix nuptiale éclate, vibre, luit,
Et je cherche ébloui quel féerique mystère
Mêle, afin de charmer le crépuscule austère,
Tant de lumière harmonieuse à tant de nuit.



SOUVENIRS

J’ai goûté la douceur limpide de ton ciel
Et le murmure frais qui coule avec ton fleuve,
Contrée harmonieuse où l’idéal s’abreuve,
Où chaque heure voit naitre un rêve essentiel.

J’ai longuement erré sous tes grands lauriers-roses,
Dans des jardins si beaux qu’on songeait aux élus ;
Mais à présent, pays sacré, je ne sais plus
Si j’ai vécu ces jours, si j’ai connu ces choses.

Car la neige des ans me couvre de flocons
Et, précoce vieillard, dans l’oubli je m’enfonce,
Et déjà je vois croître et prospérer la ronce
Sur mes champs qui naguère ont été si féconds.



L’ASILE

Quand l’âme souffre tant que c’est avec stupeur,
Frère immémorial de l’oubli, le silence
Assoupit la douleur trop amère et balance
Sur les maux qu’il apaise une calme torpeur.

Cherche dans ce vallon tranquille ma retraite,
Ami. Retrempe-toi dans un labeur humain.
De rustiques vertus fleuriront ton chemin.
Entre et mange. Le pain est cuit, la chèvre est traite.

Vis sous mon humble toit du labeur de tes bras.
La fatigue éteindra toute mélancolie,
Et seul le souvenir de la tâche accomplie
Hantera ton sommeil lorsque tu dormiras.



LES MARTINETS

Dans le beau soir d’été, les fins voiliers de l’air
En cercles éperdus virent avec ivresse.
Un vent chargé d’odeurs suaves les caresse,
Et le soleil s’effondre à l’occident plus clair.

Quel mirage insensé hâte leur vol rapide ?
Quel espoir vibre au bout de leurs élans subtils ?
Quel rêve en leurs légers réseaux enlacent-ils,
Avec des cris stridens où le ciel d’or trépide ?…

Ainsi, comme eux, humains stoïques, nous tournons
Dans le cycle infernal des fuyantes chimères ;
Puis, nous cessons bientôt nos rondes éphémères,
Sans laisser ici-bas même de vagues noms.

A L’HEURE SUPRÊME

Mon Dieu, vous avez fait de matières si douces,
Les prés en fleur, les ciels de gloire s’empourprant,
L’or de la feuille morte et le bronze des mousses,
Que seule une adorante extase vous comprend,

Vous avez accompli des miracles si tendres,
Que seule vous conçoit la prière, ô mon Dieu !
Et qu’enfouis déjà sous de précoces cendres,
Mes rêves bien-aimés en trahissent l’aveu.

Laissez-moi donc mourir devant quelque beau site,
Les yeux pleins de votre œuvre et le cœur plein de vous,
Et demeurez propice au peu que sollicite
Le pécheur d’autrefois qui veut s’éteindre absous.


Léonce Depont.