Poésies (Véga, 1921)

Véga
Poésies (Véga, 1921)
Revue des Deux Mondes7e période, tome 64 (p. 609-613).
POÉSIES


LE CIEL


Le ciel n’est pas si loin que le croit ta détresse
Quand tu trembles parmi les ombres que tu vois
S’amasser, lourd fardeau de brume qui t’oppresse ;

Il nous entoure, il est dans nos âmes parfois
Où, fugitif rayon de la gloire divine,
Resplendit un regard, retentit une voix.

Il est dans le salut de l’aube à la colline,
Dans l’ardente splendeur du couchant sur la mer
Quand le rouge soleil vers l’Océan décline.

C’est le reflet de sa beauté qui te rend cher
L’univers passager dont la nuit t’emprisonne,
Le monde douloureux où ton sort est amer.

Mystérieusement le ciel nous environne,
Et d’invisibles mains nous offrent le secours,
Un ineffable appel autour de nous résonne.

Si nous ne restions pas, nous, aveugles et sourds,
Si nos rires, nos cris, nos sanglots faisaient trêve,
Nous entendrions mieux, nous verrions nos amours*.

Nous saurions, résignés à nos épreuves brèves,
Que le rude chemin conduit à la maison,
Que l’orage nous jette aux éternelles grèves.


Ne cherche pas tes disparus sous le gazon ;
Ne ferme pas ta porte aux célestes convives
Qui t’entrainent sans bruit vers un autre horizon ;

Ils veulent qu’auprès d’eux, avec eux, tu revives ;
Contemple dans ton cœur les visages aimés :
L’infini se reflète au sein des sources vives,

Le ciel est dans les yeux que nous avons fermés.


NUITS ÉTOILÉES


J’ai connu le frisson de ces nuits où poudroie
Un innombrable essaim de lumières aux cieux
Quand, au pâle zénith, ton lait mystérieux
Ruisselle, inaccessible et nébuleuse voie.

L’enfant oublie alors son instinctive joie,
Et les amants leurs entretiens délicieux
Devant le Chariot qui tourne sans essieux,
Et l’Orion d’azur dont le glaive flamboie.

Mais depuis qu’à jamais mon bonheur s’envola
Et que, les yeux levés, je songe qu’il est là,
J’ai perdu la terreur de vos profonds abimes ;

Je sais que votre immense Océan mène au port ;
Je puis vous contempler sans peur, astres sublimes ;
Mes regards ont sondé l’infini de la mort.


HEURES FUGITIVES

 (TANNKAS)



i


La mer avec le ciel joue ;
Ils échangent leurs couleurs.. ?
Le vent qui secoue
Les rosiers en fleurs,
Met des roses sur ta joue.


II


Les barques ont tour à tour
Tendu leur voile au vent ; livre
Toute ton âme à l’amour
Qui t’exalte et qui t’enivre :
Il faut vivre.

III


La journée est belle et sereine ;
Mes trésors seront les tiens,
De mes rêves, je te fais reine,
Nous aurons les mêmes biens ;
Viens !

IV


Sans te laisser troubler par nulle âme méchante,
Célèbre la beauté que tu sens, que tu vois ;
Dieu fit ta voix
Pure et touchante :
Chante.

V


Au bord de la mer,
Au pied de la haute colline,
J’écoute une chanson divine,
Car le ciel domine
L’Océan amer.

VI


Le soleil, puissant vainqueur,
A chassé chaque nuage ;
Tout le ciel lui rend hommage :
Tout mon cœur
Est rempli de ton image.


VII


La mer est belle, et doux l’horizon qui s’embrume,
Mais le temps nous consume ;
La pierre cède au flot...
Le Vésuve là-haut
Fume.

VIII


Nous parcourons silencieux
La ville où plut le feu des cieux ;
L’air est délicieux,
Mais sur nous le soir va descendre,
Cendre.

IX


Tout fuit, rien ne demeure ;
Le plus beau de mes jours va s’éteindre bientôt ;
La cloche qui là-haut
Sonne sa dernière heure,
Pleure.

X


O toi qui me fus ravie
Après un bonheur si court,
Unique bien que j’envie,
Sois encor dans l’autre vie
Mon amour !

XI


Je te revois, lorsque je soupire,
Sourire
Comme autrefois. Est-ce ton esprit
Qui me regarde et sans rien me dire
Sourit ?



LA VISITEUSE


Comme nous écoutions ton pas vif et léger !
La lumière du ciel dansait dans tes prunelles ;
En quel être de gloire aux pitiés fraternelles,
Dieu te transforma-t-il, doux rayon passager ?

Maintenant que la nuit tombe, j’aime à songer
Que tes yeux sont baignés des clartés éternelles,
Et que tes pieds si prompts sont devenus des ailes.
Dès ici-bas tu fus un divin messager.

Tu reviens parmi nous et tu métamorphoses
En sourires les pleurs, les épines en roses
Avec ton beau regard et tes chants d’autrefois.

Gaiement tu donnais tout. Sans que beaucoup tu changes
Généreux cœur, charmant visage, tendre voix,
De toi l’amour céleste a fait la sœur des anges.


O MES YEUX !


La lumière a jailli des brumes en lambeaux ;
Un chant a résonné, Marseillaise inouïe ;
Une fleur de clarté frissonne épanouie
Sur les champs dévastés, parsemés de tombeaux.

Vous cherchez vainement les regards fiers et beaux
Qui se miraient en vous ; leur flamme évanouie
Dans le sépulcre étroit ne fut pas enfouie,
Mais rayonne au milieu des célestes flambeaux.

Contemplez Metz française et Strasbourg sans entrave :
Que cette vision de gloire en vous se grave,
Vous que pendant longtemps les larmes ont noyés.

Ne vous attardez point dans l’ombre sépulcrale,
Ne plaignez pas vos pleurs, ô mes yeux qui voyez
Notre drapeau flotter sur notre cathédrale !


VEGA.