Non loin du lent Céphise aux flots profonds et frais,
À l’ombre des lauriers, des pins et des cyprès
Dansaient les nymphes d’Aonie.
Leurs pas sur le gazon se croisaient savamment ;
Elles dansaient… c’était un spectable charmant ;
La grâce à la cadence unie.
Leucothoé tenait Callisto par la main ;
Rhanis et Sémélé, sur le bord du chemin
Ayant renoué leurs sandales,
Allaient, venaient, glissaient, souples, — et le baiser
Que leur lançait le vent semblait s’harmoniser
Au rythme joyeux des crotales.
Seule, à l’écart, pourtant, Écho fuyait ses sœurs.
Dans ses yeux détournés des sereines douceurs,
Du bonheur naïf et champêtre,
Brûlait un feu qu’Éros, le dieu cruel et beau,
Lorsqu’il passe, aveuglé de son fatal bandeau,
En des yeux innocens fait naître.
— Éros, Éros, pourquoi troubler des cœurs d’enfans ?
Ne sens-tu point tomber, sous tes pas triomphans,
Parfois, des larmes désolées ?
Ne vois-tu pas Écho tordant ses doigts menus
Et, malgré les cailloux rudes à ses pieds nus,
Errant par monts et par vallées ?
— Hélas ! il n’est plus temps de prévenir l’amour…
En ce matin d’été, membres las et front lourd,
Écho suivait d’obscures sentes
Qui mènent à la source où jamais nul berger
N’abreuva ses brebis sous le dôme léger
Des ramures envahissantes.
C’est là que, chaque jour, penché sur le miroir
Des transparentes eaux, Narcisse venait voir
Se réfléchir sa blonde image ;
Victime d’une illusion, il parlait bas
À ce jeune inconnu, qui ne répondait pas,
Et qui paraissait de son âge…
Il demeurait ainsi, les bras tendus en vain
Vers ce front lisse et pur, vers ces boucles d’or fin
Retombant sur ce col d’ivoire ;
Sa lèvre murmurait des vœux irrésolus,
S’offrait pour un baiser… et ne rencontrait plus
Que l’eau froide aux reflets de moire.
À cette vue, Écho savourait sa douleur.
« Renonce, » disait-elle, « ô toi qui pris mon cœur,
Renonce à ta folle chimère
Et viens à mes côtés, là, parmi les roseaux…
L’image qui te rit, si blonde au sein des eaux,
Narcisse, est une ombre éphémère !
« Nul autre que toi-même, ô bel adolescent,
N’eut ces traits, ce regard dont mon âme ressent
Un mal inquiet et perfide ;
Mais, tandis que mes yeux sont des miroirs si clairs,
Songes-tu que la brise, en agitant les airs,
Trouble l’onde unie et la ride ?…
« Mes yeux ne changent point… Mire-toi dans mes yeux !
Pour toi, j’ai fui mes sœurs, j’ai fui l’ardeur des jeux
Auxquels je me plaisais naguère ;
J’ai fui… L’amour guidait vers toi mon pas errant ;
Le sais-tu, beau Narcisse au cœur indifférent,
Beau Narcisse à qui je veux plaire ?… »
Mais Narcisse n’écoutait rien… Toujours penché
Sur les eaux, il restait à la rive attaché
Par d’étranges et puissans charmes ;
Peu à peu se mouraient les roses de son teint,
Et son regard, ainsi qu’un flambeau qui s’éteint,
Se voilait de deuil et de larmes ;
Et voici qu’à cette heure où s’obscurcit le jour,
Son triste front tomba, comme épuisé d’amour,
Sur son épaule inanimée…
Puis son cœur s’arrêta, trop las pour battre encor ;
— Et l’on dit qu’aussitôt surgit la coupe d’or
D’une frêle fleur embaumée.
La source qu’il aimait fut son ultime lit.
Des nymphes, doucement, l’auront enseveli
Dans cette onde qu’un souffle plisse…
Et depuis lors, du fond des grottes et des bois,
La plainte d’une voix répond à notre voix ;
C’est Écho qui pleure Narcisse !
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