Poésies (Poncy)/Vol. 1/Lendemain d’orage

LENDEMAIN D’ORAGE



Calme plat ! L’Océan, plus uni qu’une glace,
De ses bords dévastés n’envahit plus la place.
Forcé de remorquer son vaisseau, le marin
Cargue avec désespoir ses voiles inutiles.
Pas un souffle de vent ! les eaux sont immobiles

Comme une surface d’airain.

Calme plat ! l'air est pur, le ciel clair, la mer rose,
Le goéland de neige avec amour s’y pose ;
Le beau soleil d’hiver y mire son front d’or ;
Et le flot nonchalant que l’aviron soulève,
Pareil à la beauté qu’éveille un tendre rêve,

Avec mollesse se rendort.

L’algue, que sur la rive apportent les marées,
Offre un mol oreiller aux barques amarrées.
Tout est apaisement, fête, sérénité.
Et, bien que l’air soit froid, sur les cordes tendues
Les vestes des marins sont toutes suspendues :

On dirait une aube d’été !

Calme plat ! et pourtant le robuste pilote
D’un regard inquiet interroge la flotte ;
Et, pareil aux pêcheurs de Léopold Robert,
De tristesse et de deuil sa face semble empreinte,
Comme si l’avenir, qu’il sondait avec crainte,

À ses regards s’était ouvert.

Calme plat ! et pourtant les rocs sont blancs d’écume.
L’éclair, comme un marteau rayant la noire enclume,
A creusé sur leurs fronts plus d’un sillon récent.
La grève, de débris et de corps est jonchée,
Et du sable éclatant la blancheur est tachée

De larges étoiles de sang.

Horreur ! cet Océan est moins grand qu’hypocrite.
Sa rage, en traits de sang, sur ses bords est inscrite.
Aujourd’hui c’est le ciel, hier c’était l’enfer.
Hier, ce calme azur qui caresse la terre
Fumait comme un volcan, comme si le tonnerre

Avait incendié la mer.

L’Océan, défiant îlots, digues et havres,
Nous jetait en défi des monceaux de cadavres.
Hier, le flot fauchait, monstrueux moissonneur,
Les vaisseaux, les marins ! Aujourd’hui qu’il sommeille,
De sa vaste poitrine azurée et vermeille

Montent des soupirs de bonheur !

Sur tous les marins morts, sur les barques broyées,
Sur les blocs de granit des roches foudroyées,
La mer étend ses flots comme de grands linceuls.
Dirait-on maintenant que le sang l’a rougie,
Sans tous ces naufragés, restes de son orgie,

Qui, sur ses bords, l’attestent seuls ?

Le monstre est bien repu ! tremble, océan livide.
Toujours ta soif de sang s’éveille plus avide,
Mais qui sait, vieux Satan ! si Dieu que tu trompas
Ne s’indignera pas qu’en tes nuits de démence
Tu transformes tes flancs en cimetière immense,

Et ne te desséchera pas !



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