Poésies (Pierre de Nolhac)

Poésies (Pierre de Nolhac)
Revue des Deux Mondes6e période, tome 50 (p. 894-898).
POÉSIES


LA VICTOIRE DU PALATIN



(Fouilles de G. Boni, en février 1918.)

Sculptée avec amour dans le blanc pentélique
Par des Grecs attentifs à fléchir le destin.
Celle jeune Victoire embellit le butin
Qu’un proconsul heureux fit pour la République.

Mais Rome ayant fêté la divine relique
Et bâti son autel au flanc du Palatin,
Le marbre consacré par un culte certain
Régna d’un pied vainqueur sur la terre italique.

Il reparait au jour après un long oubli
Dans le sol remué du temple enseveli ;
Sa grâce retrouvée émeut les sept collines ;

Et tout un peuple encor se presse à ses genoux,
Car ce retour auguste apporte parmi nous
Le présage attendu pour les armes latines.



POUR L’ITALIE VICTORIEUSE


Si l’arôme divin qui parfume le monde
Est le tien, Italie ! et sort de ta beauté,
Si la Science et l’Art, dont vit l’humanité,
S’épanchent comme un flot de ton urne profonde,

Si ton antique Rome est grande et sans seconde,
Ayant soumis la terre aux lois de l’unité.
Si le Droit souverain réglant notre cité
Sur son précepte encor se modèle et se fonde.

Si, depuis deux mille ans, tu n’as jamais cessé
D’ajouter une gloire à celles du passé,
Une page restait à joindre à ton histoire,

La page que tes fils écrivent de leur sang,
Et que tu vas graver en ton verbe puissant
Au marbre des autels qu’a dressés leur victoire !


RÊVERIE SUR LE LAC DE GARDE



Suso in Italia bella giace un laco
Appié dell’ Alpe che serra Lamagna.
DANTE.


Les poètes de Rome ont décrit les premiers
Le grand lac où fleurit une douce presqu’île ;
Ils ont dit son flot large et la houle tranquille
Qui baigne ses bois d’oliviers.

Ils aimaient les tableaux de ces rives heureuses,
La villa qui se double au clair miroir de l’eau,
Et le feston de pampre alourdi sur l’ormeau
En dépit des Alpes brumeuses.


L’amoureux de Lesbie avec ses vignerons
Sous la rose invoquait Vénus et son sourire ;
Virgile, au pied du hêtre, inscrivait sur la cire
De grands vers que nous aimerons…

Mais voici qu’un autre âge a conduit sur ces grèves
L’âme de l’Italie et ses fils les plus chers,
Et depuis lors, devant les tours des Scaligers,
Elle nous convie à ses rêves.

Toi que le Capitole a ceint du laurier d’or.
Disciple retrouvé de Rome et de la Muse,
Toi qui vas oublier la lointaine Vaucluse
Où ton jeune luth vibre encor,

O Pétrarque ! je vois passer ton fier visage
Sur ce fond de montagne hérissé de donjons ;
Ta marche grave suit les bords que nous longeons,
Tes yeux goûtent ce paysage ;

C’est ici que tu veux, d’un rythme solennel,
Réveiller dans ses pleurs la Patrie offensée
Et l’obliger, docile à ta noble pensée,
A briser un joug éternel.

Tu l’invoques du fond de ton cœur : « Italie !
Mon Italie, où dort la cendre des héros,
Le Tudesque enragé foulera-t-il leurs os
Sans qu’un vengeur se lève et crie ?

« Ah ! puisse-t-il panser la blessure et l’affront
De ton beau corps meurtri de chaînes étrangères ! [1] »
Poète, la chanson que tu fis pour les pères,
Les fils un jour la chanteront ;


Et Dante, dont l’image auguste t’accompagne,
Leur jettera l’appel de son vers courroucé,
Lui dont l’errant exil n’a jamais traversé
Cette Alpe qui clôt l’Allemagne. —

Quels graves souvenirs chargent cet air léger !...
J’entends ici la voix de nos communes races,
Et mon modeste pas, parmi ces grandes traces,
N’est point celui d’un étranger.

Le sang français versé sous les aigles latines
A consacré pour nous ces horizons divins,
Où s’offrent à la fois, Rivoli, tes ravins
Et, Solferino, tes collines.

Partout a retenti sous ce ciel enchanté
L’hymne de nos aïeux pour la gloire italique :
Que la France se dit Empire ou République,
C’était toujours la Liberté...

Mais j’écoute... Le même chant s’élève encore…
L’Italie héroïque appelle ses soldats.
Et nous voici mêlés pour de nouveaux combats
Autour du double tricolore !

Cette fois, ce sont eux, les fils du sol fleuri,
Qui mènent pour le droit la bataille enivrante ;
Ils s’en vont racheter leur terré, ils vont vers Trente,
Où les réclame Alighieri.

Ils ont pour bastion la montagne neigeuse,
A de telles hauteurs que l’aigle seul les suit ;
A leurs pieds, sur le lac, le canon jour et nuit
Ebranle la rive orageuse.

Leurs savants ont repris le compas du Vinci
Pour tracer sur les rocs les courbes de leurs routes.
Quelle audace du cœur leur manque ? Ils les ont toutes,
Et, s’il faut mourir, les voici I


Fils de la Louve, sang des vieux légionnaires,
Paires du Samnium et laboureurs toscans,
Et vous, nés sous le feu des antiques volcans,
Rome vous lève pour ses guerres !

Vous lui restituerez le pays qui s’étend
De l’Alpe Julienne à la chaîne Rhétique,
Vous lui rendrez son golfe et son Adriatique,
Et sa Trieste qui l’attend.

Ah ! grandissez encor cette grande patrie !
Purifiez son seuil de l’outrage étranger,
Au nom de ses martyrs que vous allez venger,
Ceux de l’Adige et ceux d’Istrie !

Arrachez, déchirez de vos poings irrités
L’étendard jaune et noir qui provoquait vos pères !
Effacez, en forçant le crime en ses tanières.
Tant de deuils et d’iniquités !

— Frères ! demain, après l’unanime victoire,
Nos peuples mêleront leurs moissons de lauriers ;
Les poètes feront à nos jeunes guerriers
Hommage de la même gloire ;

Mais, pour vous seuls, afin de vous célébrer mieux.
Nous chercherons aux vers d’Horace et de Virgile
Ceux qu’ils ont composés sous la lampe d’argile
Pour l’Italie et pour ses dieux !


PIERRE DE NOLHAC.

  1.  ::...Le piaghe mortali
    Che nel bel corpo tuo si spesse veggio...
    Natura... de l’Alpi schermo
    Pose fra noi e la tedesca rabbia.
    Pétrarque, Canx. Italia mia.