Poésies (Matinnée…)

Emile Ripert
Poésies (Matinnée…)
Revue des Deux Mondes7e période, tome 11 (p. 414-419).
POÉSIES


MATINÉE


Tout semble ce matin facile et sans limite...
L’eau de la source a l’air de s’écouler plus vite,
Le port d’ouvrir ses bras plus volontiers, la mer
De se tendre, amoureuse, à l’horizon plus clair,
L’église d’appeler plus fort à ses prières.
Le vieux mur de dresser plus haut l’or de ses pierres...
Tout a l’air de goûter des instants absolus.
Avais-je des chagrins hier ? je ne sais plus...
Qu’importe ?... L’univers à mes yeux se révèle.
Je vais, nouveau venu sur la terre nouvelle ;
Je suis contemporain des plus jeunes matins
Où la terre riait à ses futurs destins,
Je communie avec les plus humbles des choses ;
Je plonge avec l’abeille au cœur ouvert des roses...

Bonheur immérité que je n’espérais point...
Est-il vraiment à moi ? N’était-ce pas plus loin
Qu’il devait s’en aller, chez quelqu’un de plus digne ?
Ma demeure, en passant, lui fit-elle le signe,
Tendrement, de venir à mon foyer s’asseoir ?
A-t-il fait halte un jour, doit-il partir ce soir ?

Vais-je pleurer demain sur le seuil de ma porte ?
Je ne sais... Je saisis ce que le jour m’apporte.
Je vais d’un pas léger entre les oliviers.
Où sont les biens hier de mon cœur enviés ?
Douceurs qu’on n’attend pas et qui sont les meilleures !...
C’est comme un chant d’oiseaux au réveil de six heures...
C’est comme si la terre et la mer et le ciel
N’étaient qu’une chantante et blonde ruche à miel...
C’est comme dans un parc une source d’eau vive...
C’est comme si c’était la peine que je vive...


PLUS TARD, COMME CE SERA DOUX...


Plus tard, comme ce sera doux à ta mémoire !...
Ce soir délicieux qui ne veut d’autre gloire
Que de combler le cœur et les rêves humains,
Cette longue lumière, où les pâles chemins
Ont l’air, d’une façon tout à fait naturelle,
De pénétrer l’azur, tant l’azur devient frêle.
Cette étoile qui luit au-dessus du clocher,
Comme pour indiquer que c’est lui, le Berger
Qui mène vers le ciel les maisons qui moutonnent,
Le doux dévidement de ces eaux monotones
Que la fontaine laisse avec le temps couler,
Ce petit vent si haut qu’il fait juste trembler
La cime des lauriers sans émouvoir les roses,
Ces parfums, ces propos, toutes ces simples choses,
Tout ce qui collabore au couchant d’un beau jour,
L’air calme, l’amitié, la lumière, l’amour,
Et surtout cette voix d’enfant, qui, minuscule.
Comble l’immensité pourtant du crépuscule,
Tout cela qui n’est rien, mon Dieu, que de banal,
Plus tard... un jour... plus tard... en un soir hivernal.
En quelque jour d’ennui, de deuil ou de souffrance,
En quelque nuit où se voilera l’espérance.
Tout cela qui n’est rien, mon Dieu, lorsque c’est là
Comme ce sera doux et déchirant, cela !...



RETOUR AU PAYS


Y a-t-il si longtemps que je vous ai quitté ?
Est-ce vrai que déjà ce soit un autre été ?
Est-ce vrai, qu’oubliant votre charme sauvage,
Loin de la route blanche et du moelleux rivage,
Je m’agitais là-bas, tandis que vous viviez
Sous la calme clarté de ces vieux oliviers ?
Vous me croyiez absent, je le croyais moi-même
Parfois, mais il n’est point d’absence quand on aime.
Tandis que dans l’affreux tournoiement des cités,
Je passais au milieu des électricités,
Méprisant l’éclat vain de leur splendeur brutale.
Mes yeux étaient emplis de la clarté natale !
Tandis qu’autour de moi mugissaient des autos,
La fontaine en mon cœur égrenait ses cristaux ;
Au milieu de l’odeur du gaz et du pétrole.
J’aspirais le parfum d’une pâle corolle ;
Par delà le réseau des brumes et des fils,
Que, dans la grande ville où vont tous les exils,
On appelle le ciel, faute de le connaître,
J’ouvrais à votre azur toujours une fenêtre...
Si bien que retrouvant, après ce noir tunnel,
Ce chant, cette clarté, ce parfum et ce ciel,
Je n’ai point de surprise et presque point d’ivresse...
Car, malgré que l’absence affine la tendresse.
Je n’ai pu m’en aller, même en le désirant ;
Et vous, beau paysage amoureux et vibrant,
Vous avez possédé celui qui vous possède.
Vous l’avez obsédé de votre charme tiède,
Vous l’avez escorté sur les rudes chemins,
Où s’en vont les désirs et les regrets humains,
Et vous avez si bien mis en lui votre essence
Que votre effacement ne fut pas une absence,
Mais un voile dont votre charme se voila.
Mais une autre façon simplement d’être là...



MA MÈRE. ME VOICI...


Ma mère, me voici dans la petite ville,
Où vous avez jadis veillé sur mon enfance...
Il fait chaud... Je m’assieds au « Café de Provence « 
Et vous écris ceci d’une plume inhabile...

La plume est inhabile où les yeux sont mouillés...
Il me semble depuis hier que mes mains fouillent
Dans quelque vieux coffret, dont les clefs qui se rouillent
Gardent jalousement des secrets plus rouillées...

Je vais le long des murs, j’arrive sur des places
Que je crois retrouver lorsque je les découvre ;
Je me suis rappelé devant u l’Hôtel du Louvre »
L’omnibus qui tintait avec toutes ses glaces.

Je me suis rappelé l’odeur des foins coupés
Dans les longs soirs de juin tout criblés d’hirondelles...
Ah ! tous ces souvenirs que l’on croit infidèles
Et qui restent parmi nos cœurs préoccupés !

Quand j’ai franchi le seuil vert du « Jardin des Plantes, »
L’odeur du buis amer fut pour moi sans surprise,
Et dans mon cœur, devant le porche de l’église,
Les grand messes ont déroulé leurs robes lentes...

Cependant tout n’est pas resté comme autrefois ;
Ces antiques cités ont leur coquetterie ;
On a crépi de neuf le mur de la mairie,
On a pavé la rue Edgar-Quinet en bois...

Les Jésuites ont fait une chapelle neuve ;
Elle est jolie avec ses trois nefs bien construites ;
Mais depuis que l’on a fait partir les Jésuites,
La chapelle fermée est une jeune veuve.


Des villas ont poussé, un peu de tout côté ;
Il parait qu’on a fait de nouvelles casernes ;
Au lieu du gaz brûlant dans de vieilles lanternes,
La ville est éclairée à l’électricité.

On est en train de démolir le vieux collège
Où j’appris que rosa signifiait : la rose ;
On en a fait un neuf tout pimpant et tout rose ;
Il n’a plus l’air du bon grand père qui protège...



Mais, ma mère, que nous importe ? Nous portons
Cette ville en nos cœurs à jamais identique...
Qu’elle se rajeunisse... Elle est toujours antique,
Puisque c’est en nos yeux que nous la regardons.

N’est-elle pas la ville où vous fûtes ma mère,
Puisque j’étais petit, d’une façon plus tendre ?...
Si je ferme les yeux, ne vais-je pas entendre
Votre voix de jadis en ce soir éphémère ?

Ma mère, vous étiez si jeune en ce temps-là !...
Moi, je ne savais pas le prix de la jeunesse,
Et maintenant, hélas ! que l’affreux temps vous presse,
Je songe, — mais il est bien tard, — à tout cela !

Je songe à ces mélancoliques soirs d’automne,
Quand les vacances d’or avaient fermé leurs portes
Et que sur l’Esplanade au creux des feuilles mortes
Je me grisais déjà de leur air monotone...

Je songe à des matins semblables de juillet
Où mes livres de prix concentraient la lumière ;
Les cigales chantaient... Sur le vieux banc de pierre,
Je posais mon fardeau de gloire et m’asseyais...

Je songe à tous ces longs hivers, lourds d’engelures,
Où quelque toux parfois me tenait à la chambre :
Je respirais, craintif, dans le soir de décembre.
Tout le froid de l’hiver resté dans vos fourrures...


Si vous étiez ici, ma mère, si ce soir
Nous sortions de l’hôtel tous deux, à la nuit close,
Et dans l’ombre complice, où grandit toute chose.
Si nous marchions, serrés, sur cet humble trottoir,

Nos pas retrouveraient d’eux-mêmes sans surprise
Le fil habituel de la route connue ;
Nous suivrions, pensifs, cette longue avenue,
Où des platanes frais frémissent sous la brise...

Dans un rêve nous nous dirions : « Il est bien tard...
On nous attend autour de la table peut-être...
On guette notre pas peut-être à la fenêtre... »
Les astres couleraient au fil du boulevard...

Mais, comme, en approchant, il n’y aurait personne.
Soudain nous reverrions ces vingt longues années,
Où tant de choses sous nos doigts se sont fanées.
Ce grand espace vide où seul le cœur résonne...

Nous songerions à tout ce passé déchirant,
A ceux qui sont couchés dans l’ombre inanimée.
Et devant la maison dont la porte est fermée,
Nous nous embrasserions tous les deux en pleurant...


EMILE RIPERT.