Poésies de Marie de France (Roquefort)/Fable XXXIII

FABLE XXXIII.

De la Fame qui feseit duel de sun Mari,
alias
De l’Oume mort è de sa moilier[1].

Dun Hume cunte li Escriz[2]

[a]Qui esteit morz et enfoïz ;
Sa Fame en meneit grant dolor
Deseur sa tumbe nuit è jur.
Près d’iluec aveit un Lairun
Qi ert[3] penduz par mesprisun ;
Par la cuntrée fud criéi,
Qui le Larron aureit ostéi,
Sun juigemens mesmes aureit ;
S’atains esteit, pendus sereit[4].10
Uns Chevaliers le despendi
Ses parens ert[5], si l’enfoï.
Lors ne sot-il cunseil truver
[b]Cume il s’en puisse délivrer[6],
Car séu fu[7] de meinte gent
Qu’il le teneit pur sun parent.
Au cémietière va tut dreit

Où la Preudefame s’esteit[8],
Qui sun Segnur ot tant plorei ;
[c]Cointement[9] dunc li a parleï,20
Dist li qu’ele se cunfortast,
Mult sereit liez s’ele l’amast[10].
La Prodefame l’esgarda
Grant joie en fist, si l’otria[11]
K’ele fera sa vulenté ;
Li Chevaliers li a cunté
Que mult li ert mesavenu
Dou Lairon k’ il ot despendu ;
Se ne li seit cunseill doner
Fors dou païs l’estuet aler[12].30
La Prodefeme respundi
Deffoons mun Barun deci[13],
[d]Puis sel’ penduns là où cil fu
Si n’iert jamès aparcéu ;

Délivrer deit-hum par le Mort
Le Vif dunt l’en atent confort.

MORALITÉ.

Par iceste signifiance
Poons entendre quel créance
Doivent avoir li Mort ès Vis[14]
Tant est li Mondes faus è vis[15].40


  1. La Fontaine, conte de La Matrone d’Éphèse.

    Rom. Nil., lib. III, fab. xxx. Fæmina et Miles.

    Le fonds de cette fable est emprunté de Pétrone.

    Il se trouve en prose dans le roman des Sept Sages de Rome, ou de Dolopatos en prose, manuscrit du XIIIe siècle (Bibl. roy., n° 7974, in-4o, 7534, et N n° 2, fonds de l’église de Paris, fo 62, vo col. 2), et en vers dans les man. n° 7218 et 7615 (voy. la nouvelle édition des Fabliaux, par Barbazan, tom. III, pag. 462 ; Glossaire de la langue romane, tom. II, p. 153 ; Acad. des Inscrip., t. XX, p. 352, Mém. du comte de Caylus sur les Fabliaux ; tom. XLI, pag. 523, Mém. de M. Dacier sur la Matrone d’Éphèse ; Eustache des Champs, poëte du XIVe siècle, man. n° 7219 in-fo, au chap. intitulé : Exemple contre Ceulx qui se fient en amour de Femmes ; enfin, Recueil de fables d’AEsope, Avienus et aultres, traduictes en françoys, par frère Julien (Macho) des Augustins de Lyon, docteur en théolog. Lyon 1484, in-fo, (cité par Gouget, bibl. franc., tom. VI, p. 248.

  2. Les anciennes histoires rapportent qu’un homme étant passé de vie à trépas, fut mis en terre.
  3. Fut.
  4. Et qu’il seroit pendu s’il étoit atteint ; cependant un chevalier de ses parents le détacha du gibet et lui donna la sépulture.
  5. Étoit.
  6. Pourroit se délivrer de l’arrét et du remplacement.
  7. Car cela fut sçu.
  8. Se tenoit, demeuroit, stabat.
  9. D’une manière aimable ; agréablement.
  10. Qu’il seroit trop heureux si elle vouloit l’aimer.
  11. Lui accorda.
  12. Qu’il seroit obligé de quitter le pays.
  13. Déterrons mon mari et pendons-le à la place du voleur, personne ne pourra s’en apercevoir.
  14. Vif, vivant, vivus.
  15. Vil, méprisable, vilis.
Variantes.
  1. Qi morz ère et enseveliz.

  2. Com il se péust délivrer.

  3. Commencement a à li parlei.

  4. Si le pendom là u ichil fu ;