Poésies de Marie de France (Roquefort)/Fable XXXII

FABLE XXXII.

Dou Cerf ki vit ses cornes en l’iaue tantdis que il béveit[1].

Ensi avint c’uns Cers béveit
A une aive[2], car seif aveit.
Garda dedenz, ses cornes vit,
Dunc à sei-meismes aveit dit
Que nule Beste nel’ valeit,
Ne si beles cornes n’avoit.
Tant entendi à sei loer
Et à ses cornes remirer[3],
K’il vist venir Chiens mult currant
Que lur Mestre veneit cornant[4].10

Après lui viennent sel’ quereient[5],
Pur ce que penre le vuleient.
En bois se met tut esmaiez[6] ;
Par ses cornes est atachiez,
En un boissun est retenus ;
[a]Ez-vous les Kiens après venus
E quant il les vit aprouchier
Si se cumence à desrainier[7].

MORALITÉ[8].

Voirs est, fet-il, que li Huns dit
E par essemple et par escrit.20
Li plusor voelent ce loer
Que il devreient suvent blasmer.
E ce laissent que il devreient
[b]Forment loer se il l’aveient.


  1. La Fontaine, liv. VI, fab. ix. Le Cerf se voyant dans l’eau.

    AEsop., fab. clxxxiv.

    Phædr., lib. I, fab. xii. Cervus ad fontem.

    Rom. Nil., lib. III, fab. xxix.

    Anon. Nil., fab. lxi.

    Vincent. Bellov.

  2. Fontaine, d’aqua.
  3. Admirer à plusieurs reprises.
  4. Leur maître, qui chassoit, les rappeloit au son du cor.
  5. Sel’ queroient. Car ils le cherchoient et vouloient le prendre.
  6. Troublé, effrayé, il rentre dans le bois ; par malheur ses cornes se prennent dans un buisson.
  7. Changer d’avis.
  8. J’ai indiqué cette moralité, parce qu’elle se trouve dans les manuscrits, mais il me semble qu’elle doit se lire de suite.
Variantes.
  1. Dont sont li chien à li venuz
    Et si les vit-il aproimier.

  2. Forment tenir se il savoient.