Poésies (Léone Depont

Poésies (Léone Depont
Revue des Deux Mondes5e période, tome 49 (p. 162-172).
POÉSIES


MATER


Si tu n’étais pas morte, ô mère, c’est pour loi
Que mes hymnes nouveaux, encor vibrans d’émoi,
Garderaient la fraîcheur de leur vierge harmonie.
A l’heure où l’ombre avec nos songes communie,
Où la lampe du soir, sœur de l’étoile, éclôt,
O mère de bonté, qui nous quittas trop tôt,
C’est pour toi, tu le sais, qu’à cette humble lumière
Frémirait mon poème en sa grâce première.
Car c’est toi qui berças mes rêves enfantins ;
Qui, malgré la rigueur des funestes destins,
Suspendis à mon cœur les cadences futures ;
Et, nourrissant mon âme éprise d’aventures,
De l’héroïsme épars en tes récits touchans,
Créas les visions dont rayonnent mes chants.
O mère de douceur, si tu n’étais pas morte.
Que de fois, tous les deux, ayant fermé la porte
Pour nous sentir avec les ancêtres plus seuls,
Nous eussions contemplé ces milliers de linceuls
Où souffle un vent sacré de légendes. O mère,
Mère adorable, et dont le sillage éphémère
S’efface lentement sur les funèbres Eaux,
Si le sol n’avait pas enseveli tes os,

Tu serais, m’enflammant à ta pensée ardente,
Des inspirations l’unique confidente
Et la consolatrice unique des regrets ;
Et des vers les plus purs, mère, je te ferais,
Auréolant ton front pour que la joie y naisse,
Un nimbe d’éternelle et féconde jeunesse.


EVOCATION


Lumineux jours ! Alors que, candide et petit,
Je rôdais par les bois où l’ombre se blottit,
Aux prés où pour brouter le troupeau se disperse,
Dans les champs, que parcourt le soc avant la herse,
Combien de fois, rival des chevreaux, des béliers,
Avec eux j’ai lutté dans mes bonds familiers !
Que de fois, engluant et mes doigts et ma bouche,
J’ai dérobé le miel de l’abeille farouche
Dont le toit domestique émerge du jardin !
Combien de fois, dans un pâturage, soudain
Sautant sur un poulain fougueux, d’entraves libre,
J’ai franchi les fossés sans perdre l’équilibre
Et dompté l’animal écumant ! Que de fois,
M’accrochant aux rameaux qui pliaient sous mon poids,
J’ai gravi l’arbre altier pour ravir la nichée
Qu’un pauvre oiseau croyait à tous les yeux cachée !
Hélas ! qu’est-il ce temps d’ivresses devenu ?
Où repose la douce aïeule au front chenu
Dont les vieilles chansons faites d’un vieux parlage,
Chaque soir, captivaient mon enfance volage ?
Quel vent morne, emportant l’innocence et les jeux,
Mua l’horizon clair en un ciel nuageux ?
Ah ! pour que du chemin vrai mon cœur ne dévie,
Fidèles visions, accompagnez ma vie.
Comme jadis l’enfant que la fatigue endort,
Hâtez en le berçant le sommeil de la mort,
Et, plus chères à l’heure où ma force décline,
Consolez ma tendresse à jamais orpheline.



LA VISITE


Puisqu’en ton âme aucune espérance n’est morte,
À l’Amour qui voyage ouvre grande ta porte.
Lave la dalle usée afin de recevoir
L’Amour, dont les pieds nus cheminent dans le soir ;
Car c’est le soir que toute angoisse s’exaspère.
Fixe une torche vierge au foyer où ton père
S’est tant de fois assis sur le fruste escabeau,
Et ton visage obscur rayonnera plus beau,
Et l’Amour s’assiéra lui-même devant l’âtre
Pour voir les tremblemens de la flamme folâtre
Aux meubles dont s’écaille et tombe le vernis
Se réfléchir ainsi qu’en des miroirs ternis.
Réserve un digne accueil à cet Hôte éphémère
Dont se hâtent les pas vers la moindre chimère
Dispose sur la table où le doux Voyageur
Accoudera sans doute un front grave et songeur
Le vin, les fruits, le miel et les galettes d’orge.
Tel un pâtre immolant le bélier qu’il égorge,
Sacrifie à ce Dieu, que tous ont adoré,
Ton repos le plus cher, ton bien le plus sacré,
Si tu veux que longtemps sous le toit clos il reste ;
Et, quand l’Amour aura quitté ton seuil agreste.
En quête d’autres cœurs et de nouveaux destins ;
Qu’il aura dispersé de ses doigts enfantins,
Comme une cendre éparse à l’ouragan sonore.
Le peu d’illusions dont tu vivais encore,
Tu sauras, ses regards dans ton rêve ayant lui,
Que la lumière humaine est de l’ombre après lui.


VISION INTIME


Je suis hanté, ce soir, très subtilement douces,
Do chimères dont seul j’ai connu la douceur.
Quelque lointain amour s’évoque en moi, berceur,
Comme germent sur un vieux tronc de jeunes pousses.


Et je n’ai qu’à laisser l’ombre envahir les cieux,
Caressante et frôleuse et molle d’harmonies,
Pour que renaisse avec des grâces infinies
La fraîche illusion des jours délicieux.

Je me sens attendri, ce soir, par tant de choses,
Dont je croyais, dans un nostalgique passé,
L’image évanouie et le charme effacé,
Que, pour les mieux revoir, j’ai les paupières closes.

Et, pénétré d’extase et de recueillement,
Je demeure ébloui de si vierges lumières,
Que, pour en adorer les puretés premières.
Mes yeux restent fermés religieusement.

Quelle ancienne candeur s’épanche goutte à goutte
Et lave ainsi mon front terni par le péché ?
Quelle rosée apporte à mon cœur desséché
La chaste volupté qu’avec ivresse il goûte ?

Sans doute, ô soir, en qui ma tristesse s’endort,
Le souvenir émeut plus que le bonheur même,
Et tout rêve aboli garde un parfum suprême,
Comme une herbe fauchée embaume après sa mort.


DÉSESPOIR


J’ai tant prié, Seigneur, que mes genoux meurtris
Sont las de s’écorcher à la terre farouche.
La plainte qui longtemps s’exhala de ma bouche.
Vous n’en eûtes pas plus pitié que de mes cris.

Joignant mes faibles mains, tendant mes. bras proscrits,
Errant le jour, la nuit sur mon ardente couche,
En vain j’ai supplie le ciel, que rien ne touche,
Puisque rien n’allégea les maux que je souffris.


Seigneur, le temple est-il désert, l’infini vide ?
L’éternité, qui siècle à siècle se dévide,
N’est-elle qu’une forme obscure du néant ?

Et pourquoi, sans atteindre à vos clartés trop hautes,
Retourné-je avili de lèpres et de fautes
Vers vous qui m’aviez fait si pur en me créant ?


ÉGAREMENT


Je sais bien que je passe à côté du bonheur ;
Que, perdu dans la foule innombrable, un cœur vierge,
Qui s’émeut sous la soie ou qui bat sous la serge,
Loin de moi, chasserait le vice empoisonneur.

Mais un lâche désir au charme suborneur
Lentement sous ses flots perfides me submerge,
Et ma foi tremble ainsi qu’une flamme de cierge
Vacille au vent fatal qui souffle d’Elseneur.

Je sais bien qu’attendrie une femme divine
Plaint mon angoisse et dans mes yeux graves devine
Les anciennes douleurs faites de rêves morts ;

Mais c’est la destinée étrange qui m’attire
De puiser de l’oubli jusque dans mes remords
Et de la volupté jusque dans mon martyre.


POUR UNE OMBRE CHÈRE


Mon âme se consume ardemment chaque jour,
Et tous mes vers épars n’en sont que la fumée.
Venez recueillir l’âme ici-bas consumée,
vous pour qui je meurs d’inoubliable amour.

Vous m’êtes apparue et je vous ai bénie,
Candide vision, dans un songe si beau
Qu’il s’épanouissait au delà du tombeau,
Où la lumière est faite avec de l’harmonie.


Quels mots seront assez fluides, quels accens
Assez purs pour bercer de leur musique exquise
Votre pitié que tant de douleurs ont conquise
Et qui frôle nos deuils de soupirs caressans ?

Dans de molles senteurs de verveine et de rose,
Quels accords chastement mélodieux pourront
Dire toute la grâce inscrite à votre front
Et toute l’innocence en vos regards enclose ?

Quel Dante traduira, las de l’exil amer,
La mystique ferveur, la vertu rédemptrice
Qui vous font ressembler à quelque Béatrice,
Au même ciel où vous respirez le même air ?

Hélas ! le rêve tremble, et la prière hésite
Devant la cime où votre extase s’envola.
C’est pourquoi, ne pouvant atteindre jusque-là,
Mon âme impatiente attend votre visite.

Mais vous restez lointaine inaccessiblement ;
Comme un astre discret vous brillez sans descendre ;
Car nous ne touchons rien qui ne devienne cendre.
Et tout en nous jusqu’au désespoir trompe et ment.

Là-haut du moins ouvrant vos ailes toutes grandes,
Glorieuse et pareille aux lys immaculés,
Des chimères les plus splendides vous peuplez
L’ombre immémoriale où naissent les légendes.

Et, les yeux attendris par notre sort obscur,
Que hante l’inconnu des choses adorables,
Vous versez par instans à nos soifs misérables
Une goutte puisée aux sources de l’azur.



HYMNE A L’AUTOMNE


Caresses des derniers soleils, rayons suprêmes,
Quelque chose revit de mon être en vous-mêmes.
Quelque chose du vierge émoi des temps anciens
Évoque les chers yeux, les traits patriciens
De Celle dont l’image enfantine est gravée
Dans la part de mon âme aux âmes réservée ;
Et l’apparition si discrète, en ce jour
Imprégné de silence et parfumé d’amour,
La noble vision par miracle surgie
M’éveille enfin de quelque étrange léthargie.
Oh ! comme j’ai dormi longuement ! Est-ce moi,
En qui subsiste à peine un vestige de foi.
Que la candeur du songe idéal hante encore,
Et qui sens de nouveau dans ma poitrine éclore
Ce nid de souvenirs dont j’écoute les chants
Glorifier l’Automne aux suaves couchans ?
Est-ce moi qui retrouve en la saison pâlie
Ces restes de chimère et de mélancolie ?
Qui, pareil à Lazare et las d’avoir souffert.
Sors de la nuit muette et du sépulcre ouvert ?
Est-ce moi qu’une telle ivresse ressuscite ?
Qui, dans l’harmonieuse intimité du site
Où vécut ma jeunesse exemple de soucis,
Goûte une trêve à tant de regrets adoucis ?...
Tiède Automne, ô langueur des choses finissantes,
O feuilles, qui jonchez les routes et les sentes ;
Grands oiseaux migrateurs, que la brume des soirs
Voit fuir avec la nue en longs triangles noirs,
Puisqu’il me fut permis, avant de disparaître,
D’adorer, comme adore agenouillé le prêtre ;
Puisque avant de mourir. Automne, il m’est donné
D’être par un reflet d’aurore illuminé,
Sois bénie, ô saison des soupirs et des plaintes,
Où les fières douleurs se ravivent plus saintes.
Automne, lent déclin de tout, sois célébré
Par la pieuse Lyre et l’Aède inspiré.
Que les temps à venir, que les races futures

Te soient dévots dans leurs plus humbles créatures.
Que la récolte des vergers aux lourds présens,
Que la juteuse grappe et que les fruits pesans
Enflent le souple osier des corbeilles. Automne,
Dont gémissent les vents sur la mer qui moutonne ;
Automne aux tons de rouille, aux nuances d’or fin,
Qui semblés dans un râle agoniser sans fin,
Que, de l’œuvre éphémère où mon cœur saigne et pleure,
Seul, ce poème obscur dans les siècles demeure.
Que, des illusions vaines que je formais,
Cet hymne attendri seul ne périsse jamais,
Et qu’il t’immortalise en des ferveurs de rite
Pour ceux dont la tristesse en ces vers reste écrite.


GLOIRES VESPÉRALES


Tel un calme océan dont le tranquille flux
Envahit une grève et la submerge toute,
Le soir en les noyant d’ombre errante velouté
Les cimes que l’éclat du jour ne trahit plus.

Le murmure attardé d’une invisible guêpe
Caresse les jasmins d’un frôlement léger,
Et le parc qui frissonne et qui paraît songer,
Par instans se recueille et se voile de crêpe.

Un lys près de mourir, comme un suprême aveu
Exhale un dernier baume au vent tiède qui passe.
Les tilleuls effleurés par une haleine lasse
Me dérobent un pan du ciel déjà moins bleu.

Le vaporeux encens d’une fragile brume
Ouate pour l’amollir en un halo vermeil
L’agonie impuissante et fière du soleil,
Dont le disque échancré lentement se consume.

Loin vers l’Ouest, entre deux nuages frangés d’or,
Dans une profondeur de vertige et de rêve,
Une île d’ambre rose éteint sa gloire brève,
Qui charmait les regards et les captive encor.


Une part du Levant s’attendrit d’améthyste,
Où vient d’éclore à peine un astre adamantin,
Et j’imagine, ainsi qu’un fraternel destin,
La solitaire étoile en son infini triste

Tout demeure imprégné d’irréelles couleurs :
Mais, comme s’il neigeait quelque impalpable cendre,
Je sens une plaintive angoisse en moi descendre
Et la douleur du soir se fondre en mes douleurs.

O nostalgique soir, vers qui l’âme s’élance ;
Dont le mystère attire alors que tout s’est tu,
Sur la plaine immobile, ô soir, comment fais-tu
Une telle harmonie avec un tel silence ?

Dans quelle transparence élyséenne, ô soir,
Veux-tu que le Croissant baigne sa pâle face,
Quand ton doigt solennel estompe, puis efface
La colline plus vague et le vallon plus noir ?

De quel tulle soyeux composes-tu la trame
Qui souple ondule et glisse et flotte et vêt les eaux,
Les bois, les prés, les champs, de fluides réseaux,
Tandis qu’émus le bœuf appelle et le cerf brame ?

Retrouverai-je, ô soir, dans l’espace et le temps,
La minute d’extase et de mélancolie
Par une autre minute ici-bas abolie,
Où j’eus la vision des choses que j’attends ?

Evoquerai-je, épris d’une espérance vaine,
Dans un siècle à venir, la cruelle douceur,
L’inapaisable amour, le délire obsesseur
Dont la brûlure allume une fièvre en ma veine ?

Ou plutôt, épuisant l’antique Sablier,
Pour mettre un terme à tant de voluptés amères
Quel soir m’accordera, pitoyable aux chimères,
La grâce de mourir et celle d’oublier ?



VERS LES SOMMETS


O poète, combien tu l’aimes ce vieux banc
Où, dans la majesté grave du soir tombant
Et dans l’harmonieux appel qui te convie,
Tu prépares ton âme à bien finir la vie !
Qu’il te charme, ô poète obscur, cet horizon
Auquel un bois de plus mêle sa frondaison
Et qui, des cœurs blessés élégiaque emblème,
Tache d’un peu de sang le crépuscule blême !
Ah ! goûte avec la paix qui gagne doucement
Quand l’amour se résigne au fier renoncement
La contemplation lente des mêmes choses.
Bénis tes ciels voilés, la place où tu reposes,
Car souvent le regret fait qu’on découvre en soi
Des sources de tendresse et des germes de foi,
Et, plus vague que les visions où tu plonges,
Le paysage prend la forme de tes songes.
Puisque l’oubli fatal t’impose sa rançon,
Accepte du destin la hautaine leçon ;
Puisqu’en ton souvenir s’éteignent les chimères,
Baise, les yeux mouillés de larmes éphémères,
L’humble main qui bientôt les fermera. Reviens
Chaque jour, attiré par d’intimes liens,
Au vieux banc où sans peur comme sans amertume
Ta pensée à la mort pieuse s’accoutume ;
Où tes douleurs se font saintes au point qu’il n’est
En ce monde, où des deuils toute prière naît,
Nulle joie à ta pure extase comparable.
Déchiffre l’Inconnu, perds-toi dans l’Adorable,
Atteins la cime vierge où l’air est si léger
Qu’on croit aux champs subtils de l’azur voyager ;
Et que de tels rayons t’illuminent la face
Aux faîtes où le corps s’atténue et s’efface,
Où le fardeau charnel disparaît annulé,
Que ton essor en reste à jamais étoilé.



NOSTALGIE POSTHUME


Quand ma chair sera morte éclora-t-il des roses ?
Ferez-vous naître encor toutes ces douces choses,
Mon Dieu, dont la beauté suave m’émeut tant ?
Laisserez-vous, au seuil du cher logis constant,
La clématite pendre avec la campanule ?
Quand mon corps, que déjà l’extase ailée annule.
Sera l’humble poussière éparse aux vents sacrés,
Des graines qu’ici-bas, mon Dieu, vous sèmerez,
Germera-t-il toujours des moissons radieuses
Et des bouquets de plus et des forêts d’yeuses ?
Ah ! penser qu’après moi d’autres rêveurs viendront.
Dont la brise des soirs caressera le front !
Qu’une aube grandira, chastement attendrie,
Pour qu’avec d’autres yeux la clarté se marie !
Savoir que sur mes os à jamais desséchés.
Que sur mon sang tari qui roula des péchés,
Que sur mon crâne impur qu’en vain l’eau du ciel lave,
Que sur mon faible cœur qui fut sans trêve esclave,
Sur tout mon être enfin par vous seul aboli
Doit s’amasser moins d’ombre, ô mon Dieu, que d’oubli,
Pourquoi donc, si telle est la détresse où nous sommes.
Accordez-vous l’amour et la pensée aux hommes !...


LEONCE DEPONT.