Poésies (Henry Grawitz)

Poésies (Henry Grawitz)
Revue des Deux Mondes6e période, tome 17 (p. 916-922).
POÉSIES





SANS LUMIÈRE


Comme il est doux, le soir, de rester sans lumière !

Vous m’attendiez dans l’ombre où la lueur dernière
Du jour laissait encore un reflet pâle et doux ;
Et c’était bien une clarté de rendez-vous !
Assis à vos genoux, je vous croyais lointaine
Encor, je ne voyais qu’une robe incertaine
Qui semblait frissonner… Et c’était vous pourtant
Dont je sentais le corps, près du mien palpitant.
Dans cette ombre où vous vous étiez abandonnée ;
Sur votre lèvre alors à ma lèvre donnée.
Notre baiser sembla devoir s’éterniser.
Et c’était plus troublant ainsi de se griser
Dans cette nuit qui nous voilait jusqu’à nos âmes,
Cette nuit où pour un instant nous oubliâmes,
Sans regret du passé, sans même un autre espoir,
Tout ce qui n’était pas notre désir, ce soir !

Mais brusquement sur nous a jailli la lumière…

Et le désir est mort avec le grand mystère
Do l’ombre ; et la clarté s’est faite encore en nous ;
Et nous nous sommes dit que nous étions des fous
De vouloir assouvir en cette heure de fièvres
Toute soif de caresse aux sources de nos lèvres.

Car nous avions compris que jamais ce désir
Ne pourrait au grand jour encor nous ressaisir ;
Qu’il faudrait lui donner l’atmosphère d’un songe,
D’ombre l’environner, le voiler de mensonge ;
Que, s’il nous a semblé ranimer nos cœurs morts,
C’était pour attiser la flamme d’un remords ;
Et que toute sa joie enfin n’est qu’éphémère…

Comme il est doux, le soir, de rester sans lumière !


SUR LES CIMES


Loin du monde et toujours sur de plus hautes cimes,
Nous avions voulu fuir vers ces instans sublimes,
Où notre rêve est un flambeau
Illuminant la vie, où notre âme s’enivre
De posséder enfin ce qu’elle doit poursuivre,
Cette extase qui la délivre
De tout ce qui n’est pas surhumainement beau !

Et nous étions si loin de toute vie humaine
Que le pâtre pensif, qui lentement ramène
Dans le soir son troupeau bêlant,
N’a jamais dû fouler en cherchant la vallée
Ces grands rochers déserts, leur cime désolée,

  • Ni même la route isolée

Où nous errions tous deux d’un pas égal et lent.

Que cette mer sans voile où ne brillaient encore
Que les reflets tremblans du soleil qui la dore
Etait notre unique horizon,
Mais si lointaine aussi que l’invisible grève,
Où la vague apaisée et calme bat sans trêve.
Ne pouvait troubler notre rêve
De son chant monotone ainsi qu’une oraison !

Et, comme en arrivant sur la cime suprême,
Do tous nos vains désirs, de notre cœur lui-même,
Nous nous croyions enfin vainqueurs,

Un grand souffle passa sur le mont solitaire,
Un souffle qui semblait le parfum de la terre,
Et troubla de tout son mystère
Le silence du soir et la paix de nos cœurs !

Vous écoutiez chanter cette brise embaumée.
Immobile, sans voix et la lèvre pâmée ;
Puis sur mon épaule en tremblant,
Vous avez incliné votre tête pâlie.
Et dans vos yeux j’ai vu tant de mélancolie.
Que j’ai compris quelle folie
Nous poursuivait toujours de son regret troublant…

Mais nos lèvres pourtant n’ont point mêlé leurs flammes ;
Car, pour combler le rêve infini de nos âmes,
Que pouvait un baiser encor ?
Et cet appel d’amour qu’il nous semblait entendre,
Parmi la paix du soir qui sur nous vint s’étendre.
Qu’était-il ? Une voix plus tendre,
Mais une simple voix dans un sublime accord !

Car il flottait épars dans tout ce qui nous grise,
Dans le silence, et la solitude, et la brise,
Dans le soir calme et solennel.
Cet amour, qui pour ne pas être qu’éphémère
De l’aurore trop belle à la nuit trop amère,
Ne fut pour nous qu’une chimère.
Qu’un rêve... mais un rêve idéal, éternel !


UN SOUVENIR...


Puisque l’heure s’enfuit dès qu’elle nous effleure,
Maintenant pour toujours, hélas ! elle a passé.
L’heure qui vint un jour unir nos routes, l’heure
Où nous vîmes enfin notre rêve exaucé !

Il nous semblait, grisés de vertige et d’espace,
Que nous irions sans cesse en un soir éternel,
Et nous ne pensions plus que chaque instant qui passe
Fait la route moins longue et plus sombre le ciel !


Mais peu à peu ce fut la lumière mourante,
Puis cet instant fatal qui vint nous désunir.
Elle devait mourir aussi, l’heure enivrante ;
Elle n’est déjà plus qu’un lointain souvenir,

Souvenir qui s’efface et dont, un jour, on tremble
De réveiller le charme éphémère et secret.
De peur qu’à sa douceur évanouie il semble
N’être plus qu’un mélancolique et vain regret !


MENSONGES


Comment, puisque aujourd’hui ton cœur n’est plus à moi.
Ton doux regard est-il encor resté le même ?
Ce regard où, parfois, j’avais vu tant d’émoi
Qu’alors je me disais : pour toujours elle m’aime !

Comment peux-tu m’offrir ta lèvre ? Son baiser
Ne serait que le plus troublant de ses mensonges ;
Ce baiser qui, jadis, sut toujours apaiser
La folie enivrante où s’exaltaient mes songes !

Pourquoi m’avoir montré le mirage divin
De ce bonheur d’amour, entrevu sur ma route ?
Vain rêve qu’un bonheur d’amour ! O rêve vain.
Dont le réveil amer et fatal est le doute !

Le doute plus cruel même que le remords.
Car, avec l’avenir, c’est le passé qu’il tue.
Dis-moi, le souvenir de tous nos bonheurs morts,
Est-ce un mensonge encore et qui se perpétue ?


AU DÉTOUR DE L’ALLÉE


O toi, qui brusquement disparus de ma vie.
Sans me dire un seul mot, sans me tendre tes bras,
J’ai trop ému jadis ton âme, alors ravie.
Un soir, vers ton amour brisé tu reviendras.


Et quand tu paraîtras, l’inutile reproche
Ne fera point trembler la douceur de ma voix ;
Calme, j’écouterai ton pas toujours plus proche.
Sans même regarder de loin si tu me vois.

Je le sais si certain l’instant de ta venue,
Que je l’entends déjà, ton pas fatal et lent ;
Tu viendras, il le faut. Peut-être ta main nue
Dans l’ombre effleurera bientôt mon front brûlant.

Car, je te reverrai, toi qui t’en es allée.
Pour fuir, à tout jamais, ton rêve enseveli,
Lorsque tu passeras au détour de l’allée
Qui mène au souvenir ceux qui cherchent l’oubli !


AU CRÉPUSCULE


Puisque ce soir encor le Destin nous rassemble
Une dernière fois, allons tous deux ensemble
Suivre le cher et vieux chemin
Que nous suivions jadis, à cette heure lointaine
Où je n’avais encor, comme preuve incertaine
De votre tendresse soudaine.
Que votre main parfois qui tremblait dans ma main !

Voyez, rien n’a changé du sentier solitaire ;
La même haie en fleur l’entoure de mystère
Et d’une ombre douce aux aveux ;
Le même rossignol chante sur une branche
Et, s’effeuillant sur vous au souffle qui la penche,
Une même aubépine blanche
Vient encore étoiler la nuit de vos cheveux !

Et c’est le même soir qui meurt, les mêmes teintes
Qu’admirent tour à tour brillantes, puis éteintes.
Vos yeux rêveurs, vos yeux si doux.
Le crépuscule a-t-il moins de mélancolie
Ce soir ? N’êtes-vous pas toujours aussi jolie ?
Et les vœux de notre folie
D’avoir été comblés en seraient-ils moins fous ?


Alors ne parlons plus ; écoutons en nous-mêmes
Chanter nos souvenirs comme d’ardens poèmes
Que nous avons réalisés.
Jadis, quand nous passions sur cette même route,
Ces souvenirs n’étaient qu’un espoir — dont on doute.
Maintenant, écoutez... écoute
Chanter ce cher passé qui nous a tant grisés !

Mais pourquoi donc faut-il qu’à l’instant où le rêve
Nous rendrait éternelle une ivresse aussi brève,
Nous sentions s’éveiller en nous
L’inévitable appel de la tristesse errante,
Comme je sens, ce soir, malgré l’heure enivrante
Et ton étreinte encor vibrante,
S’emplir mes yeux de pleurs et fléchir mes genoux !

Et soudain, pour répondre à l’angoissant problème,
Tandis que sous le ciel déjà devenu blême,
Je serrais ton corps frémissant.
J’ai vu dans tes grands yeux fixés vers la lumière,
Comme pour y poursuivre une vague prière.
S’éteindre la lueur dernière
De l’astre que voilait l’horizon rougissant !

Et ce dernier rayon qu’ainsi je vis éteindre
M’a dit : « Tout doit mourir... Ce que tu crois atteindre
N’est jamais qu’un rêve qui meurt,
Qui meurt comme la rose au souffle qui l’effeuille,
Comme la goutte d’eau que le sable recueille,
Comme un parfum de chèvrefeuille.
Ou comme sur la mer l’empreinte du rameur ! »


L’OUBLI


Pour demeurer fidèle au serment qui vous lie.
Dans un dernier adieu vous m’avez murmuré
De votre tendre voix, de remords affaiblie :
« Par pitié, ne me tente plus, je t’en supplie. »
Alors, je dois vous fuir et je vous l’ai juré !


Mais, puis-je pour toujours m’éloigner de la route
Où vous ramènera notre rêve trop cher ?
Non, pour que la douleur s’écoule goutte à goutte
De notre cœur brisé, longtemps encor, sans doute,
Nous devrons respirer le doux parfum d’hier !

Alors j’irai vous voir de loin en loin encore ;
Parfois, vous me direz : Ah ! vous ne m’aimiez pas !
Et puis le temps fuira de l’aurore à l’aurore,
Je ne l’entendrai plus cette voix qui m’implore ;
Un soir, vous oublierez jusqu’au bruit de mes pas !

Ainsi, je dénouerai, d’une main lente et sûre,
Tous les liens d’amour qui semblaient nous unir ;
Pour pouvoir du passé guérir la meurtrissure,
Ma lèvre étanchera sur la chère blessure
Le sang qui coule encor brûlant du souvenir.

Je ne détruirai pas le poème infaisable.
Car ses restes épars clameraient nos douleurs ;
Mais, aux déserts sans fin de l’heure insaisissable.
En laissant chaque jour s’amonceler le sable,
Nous l’ensevelirons, sans tumulte et sans pleurs.

A notre passion, par nos mains immolée.
Nous n’élèverons point, immuable et trop beau,
Un marbre éblouissant ; mais comme mausolée.
Elle aura pour toujours notre âme désolée.
Nos regrets pour linceul, et l’oubli pour tombeau !


HENRY GRAWITZ.