Poésies (Francis James, 1917)


Francis James

Poésies (Francis James, 1917)
Revue des Deux Mondes tome 41, 1917


POÉSIES


I


Il était, au-delà des jeunes frénésies,
Un coin inaccessible et noir dans la forêt.
Cette forêt était mon cœur, ce coin secret,
La source où s’en venaient boire mes poésies.

Que si je t’ai jamais aimée, enfant choisie,
Si mon rythme a jadis gémi sur tes bras frais,
Je te cachai cette heure où je me retirais
Pour écouter le (lot où nageait l’harmonie.

Je t’adresse aujourd’hui cette confession :
Laissant l’échelle d’or et ses illusions,
Quand s’effeuillait dans l’agrandissement des choses,

A travers les pertuis des dômes de ce bois,
Sur l’eau pure, un couchant fait de bouquets de roses,
C’est Dieu que j’appelais, je m’éloignais de toi.


II


Même quand le pays riait sous les nuages,
Même quand la colline était comme un trumeau,
Même quand j’attendais sous l’arbre d’un hameau
Une enfant buissonnière et qui n’était pas sage.

Même alors le bonheur fuyait, et le ramage
De l’idylle cessait dans la nuit des rameaux.
Mon Dieu ne voulait pas que les lis les plus beaux
Fussent à moi sans que l’abeille y fit ombrage.

Soyez béni, Seigneur, par qui j’ai recherché
L’amour d’un absolu qui manquait au péché.
Les fruits d’or et de sang qui s’offraient à mon âme,
Si je les ai cueillis, je les ai rejetés
Pour boire avidement l’inextinguible flamme,
Qui tombe du Ciel même au milieu de l’Eté.


III


Je me souviens de telle fleur, dans un tel bois,
De cet insecte au creux d’un ormeau, d’une chasse
Où je distingue encor le vol d’une bécasse,
D’un verre d’eau que dans une ferme je bois.

Mais j’oublie, à présent que j’avance, une voix
Qui me fut chère, un cœur qui tenait tant de place
Qu’il emplissait le mien, une charmante face
Et des lèvres d’amour qui disaient toi pour moi.

Cette voix et ce cœur, cette face et ces lèvres,
Puissent-ils à leur tour m’avoir bien déserté
Et ne retenir rien de cette double fièvre

Qu’une rose au Printemps, une abeille en Eté,
La trace en bondissant que fait dans l’herbe un lièvre :
Ce qui n’est plus cela que nous avons été.


IV


Juste en face, je vois la maison que Vigny
Habitait dans Orthez, et son rideau de lierre.
Durant son temps de servitude militaire
Et de grandeur, vint-il parfois dans mon logis ?

Quel destin met son nid à côté de mon nid ?
Rien en moi qui ressemble à ce Romain de pierre.
Les feuillages qui font le bruit d’une prière
Protestent dans son parc contre son long déni.

Et pourtant ! N’était-il pareil à tous les hommes ?
Le contraire est souvent la chose que nous sommes.
Afin de s’attendrir, il n’a jamais pleuré.

Quant à moi, contemplant le fronton de sa porte,
Triangulaire et net, nu comme un Marboré,
J’aspire au doux sanglot qui me fait l’âme forte.


V


Cigale abasourdissante,
Qui me dictes par tes cris
Ces quelques vers que j’écris
Dans la chaleur écrasante :

Au feu ! Sur l’ocre des sentes
Toute la bruyère a pris
Et la replète perdrix
Cherche de l’eau sous les menthes.

Quelque souffle a condensé
Et, sur le sol, espacé
La sueur de mon visage :

En larmes elle a goutté,
Comme on voit, avant l’orage,
L’averse large d’été.,


VI


Dans l’eau glauque l’objet et l’ombre se confondent.
A la surface est immobile mon bouchon.
L’aulne au suant feuillage oppose aux durs rayons
Un écran sous lequel ma quiétude est profonde.

Les peupliers, sur la berge opposée, abondent.
Le mouvant bloc liquide use l’alluvion
Qu’il avait amassée en une autre saison.
C’est trois mètres de fond qu’accuse ici ma sonde.

Mon flotteur, si léger, ne bouge toujours pas.
Puis, à peine, trois fois, il vacille. Et voilà
Qu’obliquement et que lentement il s’enfonce.

Je tire et je ressens la secousse, et ma main
Est celle d’un vainqueur jusqu’à ce qu’à la fin
La truite émerge et rompe le fil sous des ronces.


VII


Un jour bleu de l’Été que nous nous promenions,
Le petit que j’étais et la vieille servante,
Nous vîmes, sur le foin aux vagues reluisantes,
Battre des ailes un énorme papillon.

Et, m’avançant avec mille précautions,
Je posai brusquement sur cette fleur vivante
Mon chapeau, sous lequel je la pris pantelante,
Puis l’emportai dans une boîte à la maison.

Et mon cœur se serra d’indicible tristesse
Quand je montrai l’insecte à mes parens. Qu’était-ce ?
Comment le reconnaître ? Ah ! Il n’était plus tel

Que tout à l’heure… O mes frères en poésie !
Il n’avait plus autour des ailes la prairie
Qui me l’avait fait croire aussi grand que le ciel.


VIII


Comme le patriarche, au milieu de la vie,
Contemple le soleil de l’épaisse moisson,
A ma taille bientôt montent les épis blonds
D’enfans, et les pavots de leurs bouches sourient.

Je me retourne et vois sur la route suivie
Le chasseur que j’étais dans la jeune saison.
J’aimais le baiser âpre et roide du glaçon
Sur ma barbe alors notre et maintenant blanchie.

D’aucuns parlaient, lisant mes vers, de ma douceur.
Il est vrai, je chantais les femmes et les fleurs :
Mais celles-là plus d’une fois se sont méprises.

Je chantais, dis-je, ainsi que chantait mon fusil
Dont les canons se faisaient flûte sous la brise
Qui sifflait et poussait contre moi le grésil.


IX


C’est Dieu que j’invoquais sur ma flûte rustique.
Il est venu par le doux chemin villageois,
Ainsi qu’un laboureur, tout au long d’un pavois
De campanule et d’angélique.

Il est venu par le blé mûr des catholiques.
Les perdrix, les enfans rappelaient à la fois.
Les joubarbes faisaient aux descentes des toits
Des sculptures de basilique.

Sur une banderole, ouvrage d’une sœur,
On lisait tout en or ces divines paroles :
« O mon fils ! donne-moi ton cœur ! »

Je répondais, voyant cette pauvre bannière
Où l’on avait inscrit tout l’amour du Seigneur :
« Donnez-moi votre cœur, ô Père ! »


X


L’enfant prodigue, ami, ne regrette plus rien.
L’amour natal a débordé. Tout est amer
Qui n’est pas lui. Pourceaux ! demeurez au désert !
Seul m’a suivi dans mon retour mon pauvre chien.

O quand mes bras se sont ouverts entre les tiens,
O Père ! Et quand mon cœur, si dur encore hier,
Sur ton cœur s’est fondu comme un flocon d’hiver !
Lorsqu’il a ruisselé sur ton manteau d’ancien !

O mes frères ! venez et faites comme moi.
Laissez votre malheur et connaissez l’émoi
Des parens affligés, accroupis sur le seuil,

Et qui, se redressant à votre revenir,
Voient le soleil tombant changer en or le deuil
Qu’ils avaient pris pour vous qui les faisiez mourir.


XI


Spirituelle, bleue et fraîche matinée,
Sur les murs effrités où darde un laurier-tin !
Cœur semblable à la source au filet argentin !
Ame qu’un desservant obscur a communiée !

O passereaux en or des îles fortunées !
Chantez que le bonheur se trouve sous la main,
Que le Ciel, ici-bas, est un morceau de pain,
Et que nous renonçons à fouiller l’Empyrée.

Porte-lyres ! Oiseaux des extrêmes midis,
Que les marins disaient venir du Paradis,
Ne jamais se percher, et n’avoir que des ailes,

Planez en vous plaignant au-dessus du sentier
Où la petite enfant de l’humble métayer
Sans qu’elle ait à monter porte le Ciel en elle.


XII


Jamais ni la bruyère en feu, ni les cigales,
Ni la fièvre qui fait délirer un enfant,
Ni la route sans peupliers au soleil blanc,
Ni la joue amoureuse où la honte s’étale ;

Ni le rosier baigné par une aube automnale,
Ni l’azur que l’on boit au puits en frissonnant,
Ni la brise à minuit qui tout à coup surprend
Le dormeur qui rêvait aux collines natales…

Jamais cette chaleur, jamais cette fraîcheur
N’atteignirent le frais ou le chaud de mon cœur
Qui croyait inventer l’amour sur cette terre,

Posséder du Printemps, de l’Eté, les primeurs,
Mais reculer toujours l’Automne qui tempère
L’homme qui semble triste et qui sait le bonheur.


FRANCIS JAMES.