Poésies (Dujardin)/Préludes

PoésiesMercure de France (p. 19-29).


PRÉLUDES


I


Elles viennent, les fillettes,
À leurs corsages, des pâquerettes,
Sur leurs lèvres, des violettes,
Et, dans leurs yeux de brunettes et de blondettes,
Des refrains de chansonnettes.

Elles seront femmes un jour,
Elles savent qu’on leur fera la cour,
Elles attendent le troubadour.
Elles s’enquièrent de dames d’atours.

Parfois elles montrent des compassions
Aux choses que nous balbutions,
Elles ont la divination
Qu’il faudra que nous les adorions.


Et leurs regards, que ne ternit aucune idée morose,
Droit devant elles dans l’avenir et dans nos cœurs se posent.

Ô chairs que la vie réclame,
Chairs qui serez la joie et le martyre et le dictame,
Fillettes, âmes de nos âmes.

Ô fillettes, quand vous passez,
Vous mettez un songe en nos yeux lassés
Et les fleurettes, ô fillettes, qu’entre vos doigts fins vous tissez
Sont des fils où s’enlacent nos pensées.


II


— Vous avez mis votre robe des dimanches
Et dans vos cheveux une pervenche,
Ne voulez-vous que je me penche
Pour cueillir l’insecte tombé sur votre manche ?

— Laissez les feuilles sous nos pas,
Laissez l’insecte sur nos bras,
Nous ne nous en effrayons pas.

— Vous avez mis vos souliers de satin
Et vos boucles au reflet argentin.
Ne craignez-vous que le matin
Ne mouille votre pied mutin ?

— Nous passerons la clairière.
Nous sauterons la rivière,
Nous vous laisserons derrière.


— Vous avez mis votre frais chapeau
Et votre ruban le plus beau,
Ah ! que la rose du renouveau
Vous ferait un joli joyau !

— Est-ce une rose qui nous embellit ?
Notre teint aurait-il pâli ?
Notre chapeau n’est-il assez joli ?



— Vos tailles se courbent, ô demoiselles,
Vos hanches ont des balancements de gazelles.
Vos cheveux s’envolent comme des ailes,
Quand vous valsez, sous vos dentelles
Vos cœurs sombrent comme des nacelles.

Quand je les tiens, vos mains
Perdent leur carmin.

Le soir parfois
Vous êtes sans voix,
Vous contemplez les bois
Avec des effrois,
Vous avez un émoi
Si vous voyez que je vous vois.


Et puis vous êtes folles
Et vos paroles
Sont aussi frivoles
Que des ballades et des barcarolles,
 
Cependant que vos si chastes seins
Se gonflent comme des essaims.



Demoiselles, voulez-vous un mari ?
— Je l’attends tout au fond de mon cœur endolori.
— Demoiselles, je vous amène un mari.
— Qu’il parle et mon cœur soit guéri !
— Demoiselles, voici le mari.
— Je suis à lui, qu’il ait mon cœur pour lui fleuri !

III


Nous sommes les fiancées
Qui dorment enlacées
A de tendres pensées.

En ses yeux noirs
Nous mirons nos espoirs.

Il touche nos doigts
De baisers froids,

Tandis que nous rougissons
Et que nos fibres ont
Des pâmoisons.

Chez nos pères
Il vient en des mises sévères,
Il parle de choses austères,
Parfois il nous considère.


Derrière la fenêtre
Nous regardons paraître
Celui qui sera le maître
De réjouir et désoler nos êtres.

Et la nuit nos cœurs rêvent
De grèves
Où flotte sa silhouette brève.



Oh ! qu’il vient mystérieux !
Combien brumeux
Sont les essieux
Du char qu’il conduit en nos cieux !

Oh ! qu’il arrive fantastique
Et mystique
Vers notre chair eucharistique !

Qu’il est fantomal,
Qu’il est fatal,
Qu’il est lointain et vespéral,
Le héros hyménéal !

Qu’il nous est inconnaissable
Et, tel qu’un prince de fable.
Inconcevable !


Et que nos âmes sombrent
A quérir dans la pénombre
Vers quelles décombres
Nous emporte son ombre !



Il est celui que dès les temps
Rêvèrent nos printemps.

Pour lui nous sommes nées,
Nos années
Lui sont destinées.

Nos mères nous ont faites
Pour parer ses fêtes.

Il est l’idole
A qui l’on immole
Parmi les girandoles
Et sous les banderolles
Nos âmes qui vers lui volent.

Depuis notre matin
Le destin
Parfume d’encens et de thym
Nos corps qui seront son festin.


Il nous attend, nous l’attendons,
Nous sommes les dons
Qu’au son des faux-bourdons
Ses mains prendront.



Ou’il soit notre seigneur ! il sera doux ;
Ou’il nous possède ! ses genoux
Plieront devant nous.

Oh ! qu’il dévore,
Mais qu’il adore !

Qu’il soit meurtrier,
Mais que ses pitiés
Coulent sur nos pieds !

Qu’il soit tout-puissant,
Qu’il ait notre sang.
Qu’il flétrisse les seins fleurissants !

Mais qu’il soit tendre.
Qu’il sache entendre
Les pleurs que nous ne pourrons arrêter de répandre.


O notre époux,
Ayez pitié de nous !

Lumière des aurores,
Splendeur des météores,

O notre époux,
Ayez pitié de nous !

Astre des nuits.
Baume des puits,

O notre époux,
Ayez pitié de nous !

Arche des salvations.
Colline de Sion,

O notre époux.
Ayez pitié de nous !

Fleur des espérances,
Refuge des errances,

O notre époux,
Ayez pitié de nous !


Gloire des sommeils,
Aube des éveils,
Midi sans pareil,
Nimbe vermeil.

Époux, époux de nos pensées,
Ayez pitié des fiancées !