Poésies (Dujardin)/Chansons couleur du temps

PoésiesMercure de France (p. 211-220).


CHANSONS COULEUR DU TEMPS


I


Oiseau bleu, couleur du temps,
Vole à moi promptement.

Un soir très doux et clair, elle est venue, l’oiselle…
Venait-elle
De tout près ou de là-bas.
De faubourgs pleins de fracas.
Ou d’une petite ville à des cent lieues,
Ou de quelque banlieue,
Ou du village où les filles, les jours de fête,
Promènent leurs longues files timidement coquettes ?
D’où qu’elle soit venue,
Oh ! je lui dis merci d’être venue,
D’avoir posé son aile sur mon cœur
Et d’être un instant restée
Et d’avoir embaumé
De son vol et de son gazouillis
Mon rêve endolori.

Oiseau bleu, couleur du temps,
Vole à moi promptement.

C’était pendant l’été doux et joyeux,
Et la nuit était descendue,
Pâle, bleue, grise d’un pâle bleu gris.
La mer était un voile gris bleu pâle ;
Et le ciel pâle gris bleu
Continuait la nappe des flots vaporeux.
Ô symphonies exquises du bleu gris pâle,
Cieux d’opale.
Mers pâles.
Nuits d’été tièdes divinement !
La tendre brunette pâle
En sa robe gris pâle bleu
Semblait vêtue de la robe couleur du temps ;
Ses yeux
Souriaient doucement ;
Ses noirs cheveux
S’encadraient dans la voilette grise ;
Oiseau couleur du temps,
Couleur du ciel et de la mer et de la rive,
Elle était apparue ;
Et du ciel et de la mer et de la rive pâle
En mon cœur morose

Elle semblait éclose,
Telle que l’esprit de cette nuit charmante.

Oiseau bleu, couleur du temps,
Vole à moi promptement.

Minuit sonna sur la plage déserte ;
Par la fenêtre ouverte
Les vapeurs marines entraient fraîches et salines,
Et le lent bruissement marin
Bourdonnait ainsi qu’un lointain essaim ;
L’horizon s’éclaira d’un mince croissant de lune.
Maintenant ses cheveux dénoués flottaient en doux arpèges ;
Debout elle appuyait sa tête brune
Sur la poitrine
De son amant ;
Et ses narines
Palpitaient éperdument,
Comme le cœur d’un oiseau pris au piège.

Oiseau bleu, couleur du temps,
Vole à moi promptement.

Elle est venue, qui sait pourquoi ?
Pour ceci ? pour cela ?
Peut-être par hasard ? par caprice ? qui sait
Pourquoi elle avait dit : oui, je viendrai… ?

De n’importe où,
Du fond de l’inconnu jaloux,
Elle était arrivée en disant : me voici.
Et voici
Qu’Amour, le dieu joli,
Lui-même s’était mis de la partie ;
Il en était, le joli dieu, et c’était lui.
Ce porte-clés rieur du paradis.
Et toi, ô l’oiseau bleu, l’oiseau divin, l’oiseau charmant,
Oiseau couleur du temps,
Tu venais éternellement.


II


Le ciel est sombre,
Les heures, lentes, sombrent.
— Amour, tu verses la lumière
A travers l’atmosphère.

Des sanglots
Se répondent sur les eaux.
— Amour, lu mets des chansons
Parmi les horizons.

Les caravanes cheminent
Au milieu des ruines.
— Tu parais,
Amour, et sur chaque rive rayonnent des palais.

Un âpre désert
Flotte dans l’air.
— Mais des oasis de joie
Par toi
Surgissent, ô Amour, et verdoient.


La plus morne solitude
Tombe des altitudes.
— Amour, à ta voix naissent
Cent et cent visions enchanteresses.

Quel silence !
Quelle désespérance !
— Toi, tu réveilles les harmonies
Depuis l’aurore évanouies.

Sur la plaine
Planait une mortelle haleine.
— Le printemps
Sous tes pieds éclate en parfums triomphants.

Et mon cœur
Vieux et fané mourait en sa langueur.
— Mais les floraisons,
Les chansons,
L’azur des cieux les plus profonds
S’exaltent, ô Amour, sous tes doigts féconds.


III


Oh ! je renais, je revis, je redeviens moi-même ;
J’aime ;
Je suis celui qui se retrouve adolescent ;
Mes yeux se rouvrent ; des accents
Joyeux montent du fond de ma poitrine ;
Mon âme s’illumine ;
Du long soleil d’hiver, mon printemps ressuscite ;
Nuit polaire, tu fuis ; salut, malin !
Engourdissement torpide,
Nuit livide,
Je vous secoue, ténèbres de langueur ;
Mon cœur,
Ainsi que la nature en avril, se réveille ;
Et pour mûrir bientôt, tu reverdis, ô treille ;
Le vieil homme n’est plus ;
Me revoici celui qu’au temps passé je fus ;
Tout chante ; c’est le jour ; je rouvre la fenêtre ;
Je deviens celui que j’avais rêvé d’être.


IV


C’était du temps de la Saint-Jean,
Souvenez-vous-en…

A la Saint-Jean les nuits sont brèves ;
A peine l’ange sombre est-il au firmament
Que l’ange clair se lève,
Et l’Orient
Rieur sourit au flamboiement de l’Occident.

Un oiselet
A l’orée de la forêt
Chante sa liesse ;
Mon cœur est un écho
Où le renouveau
Se dresse.

*

C’était du temps de la Saint-Jean,
Souvenez-vous-en…


A la Saint-Jean les nuits sont tièdes ;
Quand les fanfares éclatantes de midi
Se sont tues, les violons soupirent des intermèdes,
Et la symphonie
Chante encore dans la douceur des harmoniques assoupies.

Les oiselets clairs
Sèment des éclairs
Au bout de leurs ailes ;
Dans mes yeux béants
Des lueurs d’argent
Ruissellent.

*

C’était du temps de la Saint-Jean,
Souvenez-vous-en…

A la Saint-Jean les nuits sont amoureuses.
Et les acres parfums
Épars au sein de l’ombre vaporeuse
Tout à coup sombrent dans l’essaim
Des brises les plus fraîches du matin.

Par la fenêtre
La fraîcheur qui pénètre
Dans la chevelure de l’amante rôde ;

Mais en mon âme qui s’endort
Frissonne encor
Le délice de la nuit chaude.

C’était du temps de la Saint-Jean,
Souvenez-vous-en…