Poésies (Desbordes-Valmore, 1830)/Élégie (« Il avait dit un jour »)


PoésiesA. BoullandTome 1 (p. 315-317).
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ÉLÉGIE.


Il avait dit un jour : « Que ne puis-je auprès d’elle,
(Elle, alors, c’était moi !) que ne puis-je chercher
Ce bonheur entrevu qu’elle veut me cacher !
Son cœur paraît si tendre ; oh ! s’il était fidèle ! »
Puis, fixant ses regards sur mon front abattu,
Du charme de ses yeux il m’accablait encore ;
Et ses yeux, que j’adore,
Portaient jusqu’à mon cœur. « Jete parle, entends-tu ? »


Trop bien ! A-t-il soumis mes plus chères années ?
Je n’y trouve que lui ; rien ne me fut si cher :
Et pourtant mes amours, mes heures fortunées,
N’était-ce pas hier ?

Que la vie est rapide et paresseuse ensemble !
Dans ma main, qui s’égare, et qui brûle, et qui tremble,
Que sa coupe fragile est lente à se briser !
Ciel ! que j’y bois de pleurs avant de l’épuiser !

Mes inutiles jours tombent comme les feuilles
Qu’un vent d’automne emporte en. murmurant :
Ce n’est plus toi qui les accueilles ;
Qu’importe leur sort en mourant ?
Eh bien ! que rien ne les arrête ;
Je les donne au tombeau ; je m’y traîne à mon cœur ;
Et, comme on oublie une fête,
Jeune encor, j’oublirai l’amour.


Pour beaucoup d’avenir j’ai trop peu de courage ;
Oui ! je le sens au poids de mes jours malheureux,
Ma vie est un orage affreux
Qui ne peut être un long orage.