Poésies (Desbordes-Valmore, 1822)/L’Hirondelle et le Rossignol

Théophile Grandin (p. 193-196).

L’HIRONDELLE ET LE ROSSIGNOL.

À UN EXILÉ.

Prête à s’élancer, joyeuse,
Aux libres plaines des cieux,
L’Hirondelle voyageuse
À la saison pluvieuse
Jetait un long cri d’adieu.

Sous un chêne solitaire
Elle entend le rossignol ;
Sa voix lui fut toujours chère ;
Et la jeune passagère
Écoute, et suspend son vol.

Elle recueille, attentive,
L’accent qui cherche le cœur ;
Mais ce chant qui la captive,
Dans sa mesure moins vive,
N’exprime plus le bonheur !

« À quoi rêvez-vous, dit-elle ?
» Les zéphyrs sont au beau temps.

» Sur la rive maternelle
» Le doux printemps vous appelle ;
» N’aimez-vous plus le printemps ?

« — Sauvez-vous, pauvre petite,
» Sans me demander pourquoi
» J’ai choisi ce sombre gîte :
» L’oiseleur, qu’en vain j’évite,
» Vous l’apprendrait mieux que moi. »

Alors autour du grand chêne
Elle entrevoit des réseaux ;
Gémissante et hors d’haleine,
Elle veut briser la chaîne
Du roi des petits oiseaux.

« Vous n’êtes pas assez forte,
» Dit-il ; mais consolez-vous :
» Du monde il faut que tout sorte ;
» Dieu n’y plaça qu’une porte,
» Et la Mort l’ouvre pour tous.

» Sur cette plage étrangère,
» Égales à leur réveil,
» Et la reine et la bergère,
» Sous le marbre ou la fougère,
» Dorment du même sommeil.

» Sous cette loi simple et juste
» On voit passer tour à tour
» L’oiseleur, l’oiseau, l’arbuste,
» Les rois et leur race auguste :
» J’y passerai donc un jour.

» Mais des rois l’ombre incertaine
» Demande grâce souvent
» Au destin qui les entraîne :
» L’oiseau blessé qui s’y traine
» Se repose en arrivant.

» Là de la flèche empennée
» Tous les traits sont amortis ;
» Et la mère infortunée,
» Libre et désemprisonnée,
» Chante auprès de ses petits !

» Si votre piété naïve
» Ne craint pas de nouveaux pleurs,
» Cherchez au bord de la rive
» Une feuille fugitive
» Où sont gravés mes malheurs[1]. »

Sous l’ombre mystérieuse
La feuille alors murmura ;

Et, long-temps silencieuse,
Plus triste que curieuse,
L’Hirondelle soupira.

« Adieu donc, s’écria-t-elle,
» Puisqu’il faut partir sans vous !
» Puisse une feuille nouvelle
» Quelque jour à l’Hirondelle
» Révéler un sort plus doux ! »

  1. La feuille de rose, de M. Arnault.