Poésies (Amélie Gex)/La Conquête d’un Nid

Claude-Paul Ménard Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 174-175).

LA CONQUÊTE D’UN NID[1]



Je m’en souviens encor comme si c’était hier :
Je lui donnais le bras ; il en était tout fier !
Et nous marchions ainsi, tous deux à l’aventure,
Épiant chaque bruit que faisait la nature
Au lever du soleil… Le doux gazouillement
Des oiseaux nous jetait dans le ravissement !
Nous allions regarder dans les fleurs entr’ouvertes
Si nous surprendrions les demoiselles vertes ;
Ou bien les papillons au corsage azuré
Pour les porter dimanche à monsieur le curé
Qui, content, nous mettrait un baiser sur la joue.
Il avait plu la nuit ; les chemins pleins de boue
Arrêtaient notre course, et tous deux essoufflés
Nous errions au hasard foulant l’herbe et les blés.
« Vois-tu, me dit Joseph, auprès de ce vieux chêne
« J’ai trouvé, l’autre jour, bien caché par un frêne,
« Un joli petit nid dont les œufs sont éclos,
Voyons si les oiseaux ont les yeux toujours clos… »

Et nous voilà trottant à travers la broussaille,
Déchirant, malgré nous, nos deux chapeaux de paille,
Sautant tous les fossés d’un pas leste et joyeux
Et broyant les épis qui nous frappaient les yeux…
Enfin nous arrivons !… Oh ! pour nous quelle fête !
Comme nous serions fiers de notre humble conquête !
Pourtant l’arbre est bien haut !… et pour les acquérir
Que de sueurs, d’efforts, de dangers à courir !
Mais comment résister, quand au milieu des branches,
Nos yeux voyaient le nid tout plein de plumes blanches ?…
L’espoir faisait bondir nos petits cœurs d’enfants !
« Quand ils seront à nous, que nous serons contents ! »
Disions-nous transportés. Afin d’être plus leste,
Joseph avait quitté ses souliers et sa veste.
Il grimpa, — mais pour moi ne sachant faire mieux,
Je lui criais : courage ! en le suivant des yeux…

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Une semaine après, les pinsons dans leur cage

Egayaient la maison par leur gentil ramage ;
Mais Joseph avait fait trente vers en latin
Pour avoir déchiré son gilet de satin.



  1. Cette pièce et celle qui suit ont obtenu une mention honorable de la part de la Société florimontane d’Annecy.