Poésies (1820)/Élégies/Le Miroir

PoésiesFrançois Louis (p. 85-87).


LE MIROIR.


Comme un enfant cruel tourmente la douceur
De l’agneau craintif qu’il enchaîne,
Amour, je t’ai vu rire à l’accent de ma peine :
J’en ai pleuré… pour toi, de honte et de douleur !
Mais l’agneau gémissant rêve au joug qui l’opprime ;
Il le brise en silence, et retourne au vallon :
Adieu, méchant Amour, dont je fus la victime !
Adieu ! le pauvre agneau m’a rendu la raison !
Joyeux et bondissant des vallons aux prairies,
Dégagé de l’anneau de fer
Qui le blessa long-temps sous des chaînes fleuries,
Il voit l’herbe plus verte et le ruisseau plus clair.
Ma fierté languissante est enfin éveillée ;
Je repousse en fuyant tes amères faveurs ;
Et, sous ta guirlande effeuillée,
J’ai brisé tes fers imposteurs !

Ne viens pas me troubler, Amour, je suis heureuse ;
Je ne sens plus le poids d’un lien détesté ;
Mais quoi ! sa fraîche empreinte est encor douloureuse…

Ah ! laisse un long repos au cœur qui l’a porté !
Va rendre ce lien à l’ingrat que oublie !
C’est à toi d’obéir ; tu n’es plus mon vainqueur ;
Tu ne l’es plus ! — Mes chants, ma liberté, ma vie,
J’ai tout repris, avec mon cœur !
Qu’il promène le sien sur tes ailes légères !
Je le verrai sans trouble ; il n’est plus rien pour moi !
Je ne l’attendrai plus aux fêtes bocagères ;
À peine il me souvient qu’il y surprit ma foi :
Je l’ai fui tout un jour sans répandre des larmes ;
Tout un jour ! ah ! pour lui je n’ai donc plus de pleurs !
Je souris au miroir en essayant des fleurs ;
Et le miroir m’apprend qu’un sourire a des charmes.
Comme le lin des champs flotte au gré des zéphyrs,
J’abandonné ma chevelure,
Qui va flotter à l’aventure
Ainsi que mes nouveaux désirs.
Qui, l’air qui m’environne, épuré par l’orage,
Me rendra, comme aux fleurs, l’éclat et la beauté ;
Et bientôt mon sort, sans nuage,
Sera beau comme un jour d’été !.…
Mais non ! je ne veux point de fleurs dans ma parure ;
Ce qu’il aimait ne doit plus m’embellir.
Cachons-les avec soin ; s’il venait, le parjure,
Il croirait que pour lui j’ai daigné les cueillir.
S’il venait… qu’ai-je dit ?… quoi ! son audace extrême

Le ramènerait-elle où mon courroux l’attend ?
Pourrait-il s’arracher à ce monde qu’il aime,
À ce juge léger qui flatte un inconstant ?…

Au fond de mon miroir je vois errer son ombre ;
Une femme le cherche !… elle attend son regard ;
Il l’aperçoit lui-même… il l’aborde, il fait sombre,
Il soupire… Ah ! perfide ! est-ce encor le hasard ?
Quelle est cette inconnue ?… Oh ! comme il est près d’elle !
Comme il lui peint l’ardeur qu’il feignit avec moi !
Il ne feint plus ! — Elle est si belle !…
Va les unir, Amour ! ils n’attendent que toi !

Je garde mes bouquets. — Ma parure est finie :
Ma parure !… et pour qui tant de soins superflus ?
Ces beaux lieux sont voilés, cette glace est ternie,
Et le miroir ne sourit plus !